Second roman de l’écrivain uruguayen Mario Benedetti, La trêve est unanimement considéré à travers le monde comme son chef-d’oeuvre, mais pour nous autres Français, la comparaison ne sera guère aisée puisque la grande majorité de son oeuvre n’a jamais été traduite dans nos contrées. Mais il me semble avoir déjà évoqué ce problème dans un billet précédent, souhaitons que les éditeurs entendent cet appel (mais plus probable qu’ils regardent plutôt leurs chiffres de vente). Publié en 1960, La trêve a ceci de particulier que ce court roman semble avoir totalement échappé aux outrages du temps, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités, mais heureusement loin d’être la seule.


A cinquante ans, Martin Santomé a mené une carrière exemplaire, veuf depuis de longues années, employé modèle du service comptable d’une entreprise de pièces détachées automobiles, il aspire désormais à une retraite bien méritée alors même que ses enfants sont en passe de s’envoler du nid familial pour mener leur future vie d’adulte. Mais de tout ceci sourd comme un léger parfum d’ennui, la vie de Martin semble bien trop rangée pour être gaie. Les amis sont peu nombreux et des femmes il ne tire qu’un plaisir limité, le temps d’une soirée, comme si depuis la mort de sa femme Martin n’était plus capable de s’engager et de s’épanouir dans une véritable relation. Jusqu’au jour où une jeune employée est affectée dans son service, Laura Avellaneda. Discrète mais efficace, la jeune femme ne frappe pas Martin par sa beauté, mais il émane d’elle une certaine fraîcheur, une grâce et une douceur qui finissent par s’imposer à lui de manière entêtante ; et l’intérêt distant qu’il lui témoigne les premiers jours se transforme au fil du temps en un amour qui le bouleverse au plus profond de son être. Cet amour lui apparaît initialement comme une douce folie, une passade de vieux grincheux qui hésite à sauter le pas vers une retraite qui le classera désormais de l’autre côté de la barrière. Mais que peut la raison face à la force des sentiments car, contre toute attente, la jeune Avellaneda (qui n’est jamais appelée par son prénom par Martin) partage les mêmes sentiments. Commence alors une idylle que la morale de l’époque réprouve, mais dont la pureté et l’innocence n’ont d’égal que la force et la puissance.


Roman intimiste qui se présente sous la forme d’un journal intime, La trêve ne laisse que peu entrevoir l’engagement politique de son auteur (qui lui valut de s’exiler durant la dictature), même si, au détour d’une remarque de Martin, apparaissent quelques saillies à posteriori lourdes de sens, notamment la description en filigrane de la société uruguayenne, à laquelle Benedetti donne quelques coups de griffes (importance démesurée de la fonction publique, corruption devenue endémique). Il n’empêche que La trêve demeure avant tout un roman d’amour un peu en dehors du temps, qui exsude un parfum de nostalgie entêtant et lancinant, dont la petite musique accompagne doucement et chaleureusement le lecteur avant de lui asséner un coup de massue final, de ceux que l’on n’oublie pas et qui sont sans doute la marque de fabrique des Grands. Le temps et l’amour, voilà deux thèmes étroitement liés dans cette oeuvre et qui font toute la force d’un roman qui se plaît à refuser toute urgence. Il y a évidemment la différence d’âge qui, bien que les moeurs aient évolué depuis les années soixante, n’a rien de commun, même si évidemment l’auteur reste dans un schéma relativement classique (un homme plus âgé qui séduit une femme bien plus jeune), mais c’est surtout le regard de Martin, empreint de nostalgie (en particulier pour sa femme défunte) et que l’on sent basculer vers la dernière phase de sa vie, qui impriment ce ton à la fois mélancolique et quasi philosophique ; il y a du Sénèque dans la manière de penser de Martin. Mais il y a surtout l’histoire d’un homme sensible à qui la vie n’a accordé que deux parenthèses de bonheur total, réduisant le reste à un néant d’une tristesse absolue. Tout en pudeur et en retenue, Mario Benedetti signe avec La Trêve un grand roman d’amour, une réflexion douce-amère sur le temps qui passe, sur la solitude et la mélancolie.

EmmanuelLorenzi
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le 25 avr. 2017

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