La comédie sentimentale de l'année est un livre
Ils sont rares, il y en a un, peut-être deux les années exceptionnelles. Je veux parler du livre que vous lisez au moment où vous deviez le faire. Il n’est pas seulement bon, vous vous y retrouvez, certaines choses vous sont arrivées, la précision et l’efficacité d’une phrase vont vous laisser admiratif. Puis vous le dévorez parce que ça devient une activité centrale dans votre vie — lire ce livre, vivre ce livre.
La vie amoureuse de Nathaniel P. est la meilleure comédie sentimentale de l’année. C’est l’histoire d’un mec d’une trentaine d’années, ses potes l’appellent Nate. Il vit à Brooklyn, il est journaliste, auteur en devenir. Jusque-là, ça sonne comme le pitch d’un film de Nora Ephron. Sauf que le génie d’Adelle Waldman (c’est son premier roman) est de décrire tous ces trucs qui font que les relations marchent à un moment, alors qu’à un autre rien ne se serait passé. Ce sont toutes ces discussions où un rien va tout faire foirer, un malaise fera s’évanouir l’envie du début, le choix des mots au cours d’un échange tendu fera tout exploser. Le roman ne s’attache pas qu’à une relation mais traverse les rencontres et les histoires de Nate avec Juliet, Kristen, Amy, Aurit, Elisa, Hannah, Greer. Et entre la description de ces instants, ça parle philosophie, littérature, politique sans trop vouloir en faire, sans jamais lâcher une référence pour le seul plaisir de le faire. Le roman ne repose au fond que sur des choses bien banales. Ce qui change tout, c’est qu’à la fin d’un paragraphe Waldman va caractériser, en des termes que vous n’auriez jamais trouvés, un sentiment que vous avez déjà vécu. Tout en déconstruisant méticuleusement tous les personnages de journalistes, écrivains et aspirants écrivains avec le même sérieux et la même attention au détail qu’un chercheur qui ne veut pas créer de connivence avec son lecteur. Le sujet est connu mais la construction, la finesse, l’exactitude font tourner les pages. C’est un livre qui reste, m’a dit une amie. Elle n’a pas cessé de me répéter que je devais le lire, elle avait raison.