La Voie du sabre, tome 1 par Nébal
Thomas Day ne m'avait pas tout à fait convaincu avec L'Instinct de l'équarrisseur, ainsi que j'en avais fait part dans un article précédent. Ce n'était pas mauvais, ceci dit, et, quand on m'a conseillé de jeter un œil à un autre roman du Monsieur, en l'occurrence La Voie du Sabre, je me suis dit que ben ouais, pourquoi pas ?
Même si, en feuilletant le volume dans la librairie, j'avoue avoir eu un peu peur. Pour des raisons pas forcément pertinentes, certes. Mais déjà : la couverture est moche. Mais alors vraiment moche. Bon, c'est d'usage chez Folio-SF, il paraît (il y a pire, mais c'est vrai que leurs couvertures ne sont souvent guère fameuses). Surtout, il y a le résumé en quatrième de couv', à mettre en parallèle avec cette illustration à mon sens ratée de Guillaume Sorel (qui a heureusement fait beaucoup mieux que ça à l'occasion...). Ca sent le manga. Aïe. Parce que le phénomène manga, honnêtement, il tend à me les briser menu. Je sais qu'il y a des choses vraiment excellentes dans tout ça, pas de souci ; reste que la surproduction actuelle me dissuade de faire le moindre effort pour dégager le bon du pathétique. Et Thomas Day semblant admettre volontiers – ce dont je ne lui tiendrais certainement pas rigueur – un indéniable attrait pour la littérature pop-corn, j'ai un peu craint que cela ne soit guère ma tasse de thé...
Par contre, j'aime bien les chambara, dont un certain nombre de ceux qui sont cités dans la filmographie en fin de volume. Et le Japon est un pays qui me fascine particulièrement, et dont l'histoire m'avait même intéressé il y a de cela quelque temps. Il y avait donc, par-ci par-là, quelques termes, quelques personnages, qui me séduisaient malgré tout ; ne serait-ce que la figure légendaire de Miyamoto Musashi, au cœur de l'histoire...
Détaillons-la un brin, justement. Nous sommes au XVIIe siècle, dans un Japon qui n'a jamais été. L'uchronie, ici, se teinte de fantasy, dans la mesure où la magie semble bien être une réalité palpable, et où le Japon, l'Empire des Quatre Poissons-Chats, est dirigé par un Empereur-dragon issu du clan Tokugawa... Le narrateur, Mikédi, laisse entendre qu'il va bientôt mourir, mais souhaite d'abord coucher sur le papier certains événements majeurs de sa vie, chamboulée par l'arrivée inopinée au château de son père, le seigneur de la guerre « moderniste » Nakamura Ito, d'un rônin puant et arrogant, qui a tôt fait d'humilier les meilleurs guerriers du fief. Ce rônin n'est autre que le fameux Miyamoto Musashi, sabreur de légende. Il ne vient cependant pas vendre ses services au seigneur de la guerre, mais propose néanmoins – avec une impolitesse qui aurait valu à tout autre les pires supplices – de former son fils aîné et héritier légitime Mikédi, alors âgé de 12 ans et qui n'a quasiment jamais vu son père de sa vie, en essayant de lui inculquer les principes de la Voie du Sabre ; cela lui permettra peut-être d'accomplir ce que son père n'a jamais pu faire jusqu'alors : à condition de récolter suffisamment d'encre de shô, le poison mortel responsable de la métamorphose de empereurs, peut-être Mikédi pourra-t-il approcher, épouser et féconder l'héritière du trône, et être ainsi le père d'une lignée d'empereurs...
Commence alors pour le jeune Mikédi un long et rude apprentissage, sous les ordres de ce maître impressionnant mais d'aspect si repoussant, et, qui plus est, arrogant et sarcastique. L'homme, cependant, impose le respect. Sa connaissance de la Voie du Sabre l'autorise à sculpter les vagues de la mer ou le sang jaillissant du cou de ses victimes décapitées. Mais il n'est pas qu'un guerrier, et la formation au combat se fait attendre. Musashi, cependant, enseigne à Mikédi bien des choses, et le décille quelque peu : dans un repaire de pirates récoltant pour leur compte l'encre de shô depuis que le seigneur Nakamura a rasé leur ancien village, Mikédi en apprend long sur son père, sur le samouraï qui l'a élevé, sur les motivations de son maître... et sur lui-même. Il y a en lui une soif de pouvoir, une tendance à l'autorité et au mépris des faibles et des humbles, qui n'en font guère un disciple de choix pour arpenter la rigoureuse Voie du Sabre, voie de la justice et de la défense des opprimés. Mais l'enseignement se poursuit, passant par les réjouissances et les difficultés du Palais des Saveurs et de la Pagode des Plaisirs. A l'horizon, cependant, Mikédi ne nous en cache rien dès le début de son récit, ce sont bien l'échec et la trahison qui attendent le jeune apprenti...
Ben c'est pas mal du tout, en fait. Un divertissement de qualité, qui se lit tout seul, avec quelques personnages hauts en couleurs – Miyamoto Musashi en premier lieu, bien sûr – ; quelques idées fort sympathiques, aussi : par exemple, j'ai bien apprécié l'interruption du récit, à plusieurs reprises, quand un individu que croise Mikédi lui rapporte un conte, ce qui confère à l'ensemble une atmosphère assez séduisante ; de même, l'idée des tatouages mouvants de Miyamoto Musashi m'a paru assez pertinente. Les quelques scènes d'action sont plutôt réussies, et ont notamment pour elles de ne pas s'éterniser. La philosophie du rônin, si elle est à l'occasion un peu naïve, est cependant assez attrayante dans ses démonstrations par l'exemple, qui émaillent le roman de jolies petites saynètes généralement assez bien vues. Thomas Day, enfin, évite de sombrer dans quelques travers de la littérature de gare qui auraient été déplacés dans le contexte du roman ; je craignais, au moment où Musahi laisse Mikédi dans la Pagode des Plaisirs, quelques scènes de sexe plus ou moins gratuites ; mais finalement, sans être pudibond pour autant, tout cela est très bien dosé et sert le propos du roman.
Il y a bien quelques défauts, ceci dit. On peut trouver, notamment, que la « couleur locale » est à l'occasion un peu poussive, notamment vers le début du roman (même si j'avoue que ces défauts n'en sont peut-être pas tellement, dans la mesure où j'ai abordé la lecture de La Voie du Sabre avec les quelques a priori mentionnés plus haut). De même, on peut trouver qu'il y a à l'occasion quelques abus dans les références, notamment quand des personnages, des événements ou des productions de l'histoire authentique se retrouvent un peu malmenés dans le roman. L'uchronie n'excuse pas tout, à cet égard. Et, même si cela n'est guère gênant – autant le dire : c'est même du pinaillage pur et simple, désolé... –, j'avoue avoir un peu tiqué devant ces empereurs Tokugawa, ce Genji Monogatari étrangement guerrier et spirituel ou ces allusions un peu convenues et surtout pas forcément bienvenues à la bataille des Thermopyles... Pas bien grave, mais le réalisme de l'uchronie en prend un peu un coup. Dans le même ordre d'idées, il faut de toute façon reconnaître que le Japon présenté dans ce roman est assez caricatural, empruntant effectivement beaucoup aux chambaras et aux mangas ; pas un problème, ceci dit : La Voie du Sabre se veut clairement un divertissement, et remplit parfaitement son rôle à cet égard.
Juste un petit bémol, ici : quelques ellipses sont plus ou moins fâcheuses. Elles sont dans un sens justifiées par les circonstances dans lesquelles Mikédi élabore son récit, et par quelques emprunts à la littérature du XVIIe siècle. Mais on ressent cependant à l'occasion une impression d'inachevé, et je dois avouer que le changement d'attitude de Mikédi, entraînant bientôt sa rupture d'avec Musashi, m'a paru franchement brusque, peu justifié, et pour tout dire peu crédible : dommage, dans la mesure où il est au centre du roman... Les derniers chapitres déçoivent quelque peu sur ce plan ; les longues ellipses s'enchaînent, avec un peu de remplissage pour faire bonne figure, et amener enfin une conclusion inéluctable. La Voie du Sabre, sous cet angle, me paraît donc, soit trop long, soit trop court.
Mais je ne boude pas mon plaisir. En dépit de mes préjugés, j'ai passé un très bon moment à lire ce roman, qui m'a bien plus convaincu que L'Instinct de l'équarrisseur, sans être époustouflant pour autant. Il me semble avoir entendu parler d'une « suite », et j'y jetterais volontiers un coup d'œil.