Dans tous les sens
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
30 j'aime
8
La voilà donc, cette fameuse Zone matrice de toutes les autres, y compris rétroactivement. Parce qu’il faut bien le dire : c’est bien la Zone d’Exclusion de Tchernobyl qui a été plagiée par anticipation dans Pique-nique au bord du chemin des frères Strougatski (1972) et dans son adaptation sous le titre de Stalker par Tarkovski (1979). Tout le reste n’étant que plagiat de plagiat… Ce n’est pas un hasard si le livre de Markiyan Kamysh, enfant du pays né en 1988, zonard de loisir et à ce titre élément de cette « rumeur sur la radiation, les zombies et les veaux à trois têtes » (p. 14) fait référence à Stalker: Call of Pripyat (2010) ou aux Chroniques de Tchernobyl (2012). Et quoiqu’il méprise les touristes, son livre prend quelquefois des allures de guide.
Ce qui intéresse l’auteur, ce n’est pas la catastrophe de 1986 : « Pour plus d’informations [sur la centrale], merci de consulter une multitude d’ouvrages ennuyeux, de mémoires et autres bouillies littéraires. » (p. 161). Ce sont les promenades. Les cuites sur les toits de Pripyat. Les lynx. C’est ce que la catastrophe nous dit de notre modernité : « C’est à ce moment [sorti de la Zone] que je prends conscience de mon envie de rembarrer ceux qui critiquent aujourd’hui notre société de consommation, ceux qui, au supermarché, n’apprécient pas le choix de dix sortes de légumes surgelés et de vingt marques de cigarettes. Vous êtes des enculés ! Goûtez une barre chocolatée après une incursion de deux semaines dans la poubelle de Tchernobyl ! Savourez le craquement des noisettes sous vos dents qui n’ont pas connu de brosse depuis des jours ! Buvez une gorgée de soda ! Alors, seulement, vous pourrez condamner l’abondance de produits étrangers. Enculés. » (p. 125)
La Zone semble passer entre les gouttes comme un trafiquant de ferraille entre les barbelés, mutant entre documentaire et récit – ce qui ne signifie pas fiction –, entre journalisme gonzo et analyse désabusée, entre passages faibles et très belles pages, par exemple sur les dangers de la zone : « Quand on m’interroge sur les risques que je cours, je ne sais vraiment pas quoi dire. Oui, c’est très exposé. […] Je suis persuadé que, dans vingt ans, je recroiserai ces garçons et ces filles, compagnons de mes escapades dans la Zone, lors d’une séance de chimiothérapie dans un sympathique service de cancérologie à Kiev. Et je sais qu’on s’échangera des sourires. On sourira à la vie qui nous défie et qui nous dicte où aller, comment exister et quoi respirer. Nous sommes les enfants de notre époque. Où pourrions-nous encore aller ? » (p. 148).
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Tchernobyl, mon amour
Créée
le 5 nov. 2016
Critique lue 693 fois
2 j'aime
2 commentaires
Du même critique
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
30 j'aime
8
Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...
Par
le 12 nov. 2021
21 j'aime
Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...
Par
le 4 avr. 2018
21 j'aime