Des enfants tuent un enfant prend pour point de départ un atroce fait divers : l’assassinat d’un enfant de deux ans par deux enfants de dix, dans la banlieue de Liverpool, en 1993. A priori, deux options : un questionnement de la littérature au moyen de l’écriture journalistique, façon Truman Capote avec De sang-froid, ou des considérations sur la justice, façon Jean Giono dans l’Affaire Dominici (lesquelles donneraient lieu, en dernière analyse, à une réflexion comme celle de Michel Foucault.) Gitta Sereny a préféré suivre une troisième voie.
Et celle-ci se distingue finalement assez mal d’une optique qu’on ne peut certes pas réellement qualifier de journalisme à sensation, mais qui ne vole pas haut pour autant. Imaginez un reporter de la presse quotidienne régionale, blanchi sous le harnais par quarante ans de faits divers, et à qui les circonstances offrent, en guise de chant du cygne, une enquête réellement exceptionnelle. (C’est, du reste, l’impression que produisaient une bonne partie des invités de Faites entrer l’accusé, à l’époque où cette émission présentait de l’intérêt.) Le résultat serait de l’acabit de Des enfants tuent un enfant.
« Telle est donc la première question que nous devons nous poser : quelle est donc l’efficacité de notre système judiciaire vis-à-vis des enfants criminels ? » (p. 13 de l’édition de poche), se demande Gitta Sereny : cette question à peine digne d’un étudiant en première année de droit ou de psycho constitue un des sommets de la réflexion proposée par l’ouvrage. Dans le même ordre d’idées, on apprendra (p. 20) que « les enfants criminels ne sont pas le produit d’une classe sociale, mais du malheur, d’un malheur qui n’est jamais inné : il est créé par les adultes à qui les enfants “appartiennent”. Dans toutes les classes sociales, des adultes immatures, inadaptés ou malades font rejaillir leurs troubles que les enfants qui les aiment et ont besoin d’eux. […] Les enfants ne sont pas mauvais. »
Encore ces deux passages ne sont-ils pas les plus putassiers d’un livre qui, par moments, balance sans vergogne les propos les plus éculés sur la jeunesse qui fout le camp, voire fait implicitement de l’œil à un auditoire de café du commerce, populiste dans le mauvais sens du terme : « Au lieu d’une universelle acceptation du bien, qui contribuerait à leur sentiment de sécurité, ils [« la plupart des enfants » de l’époque] ont affaire à une tolérance générale au mal, qui ajoute au désordre » (p. 15), explique l’auteure, et, vers la fin du texte, « Avoir tué son fils, releva-t-elle [la mère de la victime], aura permis aux deux criminels d’accéder à une éducation à laquelle ils n’auraient pas pu prétendre sans cela » (p. 110).
Des enfants tuent un enfant réunit en fait deux textes : d’une part « L’affaire Bulger », autre titre pour la Balade des enfants meurtriers, et de l’autre « L’affaire Burgess », qui prend pour sujet un crime similaire à celui des deux garçons de Liverpool, mais qui s’est déroulé en 1861. Peut-être parce qu’il y a moins de sources, ou parce que Gitta Sereny est meilleure historienne que journaliste, le second texte, plus court, semble aussi manifester un peu plus de hauteur de vue. On est bien plus proche de l’optique de Giono – sans la mise en scène qui nuit à l’Affaire Dominici – dans un passage comme « (Le langage dans lequel ces déclarations sont rédigées ne doit pas tout à fait ressembler à celui des témoins ; on a dû leur poser des questions, ils ont dû répondre avec familiarité, parfois en ayant peur et sans doute en hésitant. Ce qui a survécu un siècle plus tard est une version bien améliorée de leurs récits, et en fait de ce qu’étaient leurs vies.) » (p. 128). Mais ce passage est entre parenthèses ; c’est un signe.

Alcofribas
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le 9 juil. 2018

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