Maisoneuve, un drogué à la Flamme, une substance à base d'intestins de baleine des sables, vit dans un squat. Ses compagnons, bientôt à cours de drogue, l'envoient comme marinier sur un navire de la planète Nullaqua, le Lundglance. Un trimaran qui croise sur la mer de sable (ou plutôt de poussière de l'ordre de l'atome) enserrée dans la seule caldeira à atmosphère de la planète. Sous la direction du capitaine Desperandum (en latin "à désespérer"), Maisoneuve s'embarque comme cuistot aux côtés de Calothryk, un autre drogué. Sur le bateau, il y a Murphig, un matelot moins taciturne que les autres, féru de superstition quant à la Civilisation Ancienne qui habitait ici. Il y a surtout Dalusa, une extraterrestre dont les bras se terminent en ailes de chauve-souris, qui fait office de vigie, et à qui le moindre contact avec un être vivant vaut des éruptions cutanées violentes. Rapidement, Maisoneuve tombe amoureux de Dalusa et comprend que derrière la chasse aux baleines, Desperandum veut percer les mystères de l'océan de sable. De son côté, il raffine de la Flamme dans un alambic improvisé.

Le livre, construit sous la forme du récit rétrospectif à la première personne de Maisoneuve, est divisé en chapitres avec des titres explicites, comme dans les romans XIXe. On suit les péripéties du navire à travers les océans de sable : tempête, nuage de poissons volants aux ailes acérées, omniprésence des requins, sondage aux résultats déroutants, culture d'oeufs dont l'un se révèle celui d'une anémone de mer aux tentacules menaçants. Après un bref passage au port d'Arnar pour se remettre, le capitaine met le cap sur la baie Miroitante, un endroit dangereux, à l'écart de toute navigation, pour y dénombrer les anémones géantes survivantes, ce qui entraîne bien des péripéties. Puis le capitaine tente une dernière aventure, qui lui est fatale : évider une baleine des sables pour en faire un sous-marin. La plongée, dans laquelle Maisoneuve est entraîné malgré lui, finit tragiquement. Dans le coma, notre héros fait un rêve étrange sur la mort de l'Ancienne Civilisation, puis se réveille à la dérive. Dalusa le sauve des requins mais disparaît en tentant de sauver le capitaine. Revenu à terre, Maisoneuve revient à son ancien squat, désormais rempli de cadavres et décide de partir sur Terre, voir enfin Venise, dont il prétendait être originaire.

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On connaît surtout Sterling pour son statut de membre fondateur du cyberpunk, bien que je trouve cette étiquette réductrice au vu de son goût pour la hard science et les intrigues géopolitiques complexes. J'ai toujours trouvé son style dense et parfois difficile à suivre (particulièrement dans "Schismatrice +", que j'aime cependant).

Ici, rien de tel. "La baleine des sables" est un roman de SF étonnamment accessible, avec un style limpide et des réminiscences littéraires transparentes. Allusions à Moby Dick (dont le livre reprend la structure), à Jules Verne (le capitaine Nemo), mais aussi aux romans de la beat gerenation (pour la drogue), à Coleridge (la figure de l'oiseau de mer mort), voire à Dune (cette histoire de drogue tirée des sables).

Malgré ces emprunts en forme d'hommage (et parfois de pastiche), l'univers du roman a sa cohérence propre, avec ces falaises étonnantes, qui semblent grimper jusqu'au ciel, avec sa faune étrange, les propriétés étonnantes de ce monde sans eau (je viens de réaliser l'étymologie de Nullaqua) : les gouttes d'eau comme les larmes, quand elles touchent le sable, attire le plancton qui en fait des sortes de petites pierres précieuses. Il y a de vrais passages empreints de poésie, qui rappelle parfois la concision onirique d'un Lovecraft pour décrire des paysages rêvés.

L'un des passages les plus frappants, d'ailleurs, est le rêve de Maisoneuve lorsque le sous-marin baleine explose, et cette vision de deux cités-dômes méthodiquement annihilées par une sorte de ver métallique surgissant du col et d'éruptions gigantesques de sable projeté à haute vélocité.

C'est un divertissement léger que s'octroie Sterling, non sans un goût pour la dérision ou le grotesque. Au diable la hard science ici, c'est l'ambiance et le plaisir de la narration qui comptent.
zardoz6704
8
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le 20 août 2014

Critique lue 354 fois

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