Belle histoire, construction parfaite, style bancal
Erina, la narratrice, est auteure à succès et travaille dans une université. Son père, mort neuf mois plus tôt, a passé sa vie à raconter des histoires pour faire rire, plaire, séduire, avant de devenir « délirieux » selon les médecins. Mais voilà qu'Erina se retrouve face à ce séducteur fantasque de Vassili Papadopoulos désormais frêle vieillard dans les rues d'un Montréal balayé par une tempête de neige.
De manière entièrement décousue, Catherine Mavrikakis raconte l'histoire de Vassili de sa jeunesse à sa renaissance sous les yeux ébahis de sa fille. On revivra le départ de Rhodes et l'arrivée à Alger en 39 alors qu'il n'est qu'un enfant, New York où dès 57 il ira « faire l'Américain », les paysages insensés, violents sur le trajets des vacances entre Montréal et Key West en décembre 68 lorsqu'il emmène ses trois filles (Erina, alors âgée de 9 ans, et les jumelles Adriana et Alexia, 6 ans) voir l'océan pour la première fois, Las Vegas, deux ans plus tard, lorsqu'il se sert d'Erina comme faire-valoir aux tables des Casinos, les vacances en Europe en 66 (super chapitre d'ailleurs) ou encore Montréal en 2013 lorsqu'il revient d'entre les morts.
« Si mon père donnait le change, à tous et particulièrement à mes jeunes sœurs, depuis un an il n'avait plus aucun mystère pour moi. J'avais dans les derniers temps, depuis l'après-divorce et son installation définitive à New York, appris à interpréter ses actes ou ses paroles. Je décortiquais aisément le mécanisme de ses fanfaronnades et rodomontades dès qu'il avait tort, qu'il mentait ou encore qu'il voulait épater la galerie. » page 25
Au fil des pages, on apprend à connaître, nous aussi, le personnage de Vassili, les liens parfois forts, parfois décousus comme le récit, entre Erina et lui. Il y a un grand écart entre le rituel du samedi matin chez Waldman, où ils achetaient ensemble la « poiscaille » que sa mère détestait (c'est pour ça qu'elle restait dans la voiture avec les jumelles), les folies qu'ils mangeraient le soir devant Fernandel ou Colombo avant de commander une pizza pleine de pepperoni à minuit, et la scène du Casino où Erina est bien consciente du rôle que son père lui fait tenir. « Mais mort, comme vivant, on ne peut avoir de lieu à soi, ni de nostalgie » (page 150) est une phrase qui lui sied parfaitement.
Quelque peu invraisemblable du fait de la possible résurrection du père (on ne sait, au début, si elle rêve, si elle hallucine, si elle se trompe, s'il s'agit d'un fantôme ou d'une véritable renaissance), La ballade d'Ali Baba est néanmoins une très belle histoire, finalement assez réaliste. On croit à ce nous raconte Catherine Mavrikakis, on croit à tout. Elle nous emporte aux quatre coins de la planète et des dernières décennies avec une facilité, une tendresse et une beauté particulière.
Il y a cependant un point qui me chagrine et qui entache la beauté du roman, c'est l'écriture. Si la plupart du temps, la langue est belle et poétique, il y a quelques passages maladroits. À peine le roman commencé trouve-ton trop d'adjectifs, trop de compléments, trop d'indications, de lumière incandescente, de rayons impétueux du soleil et de clarté carmin. L'auteure en fait trop, et un paragraphe plus loin, les phrases sont envoûtantes. Puis les lourdeurs reviennent au galop. Le chapitre sur Alger est assez laborieux. On trouve énormément de redites (page 125 « Depuis, Vassili priait le Bon Dieu, comme les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul lui avaient appris à le faire. » et après quelques lignes expliquant pourquoi il prie : « Néanmoins, durant les moments de grande inquiétude, Vassili faisait comme on lui avait appris à l'orphelinat, il priait la Vierge des pieds-noirs et le petit Jésus de tout le monde », ou pages 82-83 « J'étais inquiète. Tant de questions se pressaient dans mon esprit... Où étions-nous ? L'ascenseur était-il bien en train de monter jusqu'au vingt-neuvième étage ainsi que je le percevais ? Nous entraînait-il plutôt vers l'infini céleste ? Ou allait-il s'engouffrer dans les entrailles de la Terre ? (...tatatatatata...) J'avançais, inquiète. Dans quel antre infernal devais-je me promener ainsi flanquée du fantôme de mon père ? (tatatatatata belotte, encore des questions sur Dieu, le ciel, l'enfer, etc.) quelques lignes plus loin, rebelotte, « Coincée quelque part entre la vie et la mort, saurais-je retrouver mon chemin parmi les vivants ? Reverrais-je un jour les étoiles ? Tatatatata », et j'en passe).
Alors, c'est tout de même un très beau récit, avec des passages savoureux et émouvants, une sorte de courte saga familiale décousue dans la construction et, malheureusement, dans l'écriture, ce qui gâche un peu le plaisir de lecture.
« Je passais chaque jour devant depuis la mort de mon père... Comment se pouvait-il que Vassili fût si proche de moi depuis son décès et comment étais-je arrivée à le pas le croiser ? » page 56