« L’enquêteur dit : “Bang, bang, bang, bang, bang.” Bon, oui, mais non »

La Conduite de la guerre cherche à donner une explication au massacre commis par un groupe de soldats états-uniens à Haditha le 19 novembre 2005. Un Marine tué, et vingt-quatre civils irakiens. Le livre pose en des termes légèrement différents la même question générale que les Naufragés du Batavia de Simon Leys, dont j’ai écrit la critique à peu près en même temps. À savoir : peut-on faire de la littérature – plus précisément ici de la littérature engagée – en se contentant de rapporter des faits ? L’ouvrage ne semble pas proposer de véritable parti pris d’écriture, même pas celui d’une écriture neutre. Il même faits, analyses et réflexions générales.
Long reportage plutôt que court roman, le livre de William Langewiesche reste un livre de journaliste. Dans le meilleur sens de l’expression. En d’autres termes, quand j’utilise dans la première phrase de ma critique le mot explication, je voulais bien dire explication. Et pas disculpation (morale) ni justification (stratégique). C’est-à-dire que même s’« il est tout à fait injustifié de blâmer n’importe lequel des Marines de cette escouade sans savoir ce que chacun faisait et où il se trouvait » (p. 83), il serait tout aussi injustifié de les absoudre dès le moment où « la guerre avait pris les allures de la question de l’œuf et de la poule » (p. 69).
L’auteur le sait, fait en sorte que le lecteur le sache, et ce faisant en arrive à « l’autre conclusion : la débâcle d’Haditha est liée à la conduite normale de la guerre » (p. 87). Il place ainsi son enquête dans la tradition des récits pacifistes intelligents – cf. À l’ouest rien de nouveau ou le Feu –, celle qui distingue commandement et troufions, celle qui fit graver sur certains monuments aux morts Maudite soit la guerre plutôt qu’À nos héros. (Le fait que contrairement aux Poilus, la plupart des Marines soient des engagés n’est jamais traité explicitement. Mais leur situation telle que William Langewiesche la décrit est très proche de celle des « héros » malgré eux de Verdun, d’Algérie ou du Vietnam.) « Quelqu’un fait exploser moi, moi tirer sur lui, mais lui juste tirer sur moi et moi juste tirer sur lui aussi. C’est le genre de combat que Donald Rumsfeld ne pouvait pas imaginer » (p. 91-2).
La Conduite de la guerre est un très bon livre de journaliste dans le sens où il interroge aussi le journalisme. « À partir de transcriptions, d’entretiens, de documents, de communiqués de presse, et surtout d’un solide sens de ce qui est plausible en Irak, on peut faire une reconstitution assez complète. Néanmoins, étant donné les complexités de la guérilla et la confusion qui règne dans les esprits de ceux exposés au feu, seuls les faits bruts sont indiscutables » (p. 23-24), écrit l’auteur, et la portée de son enquête réside dans ce néanmoins.

Alcofribas
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le 28 mai 2018

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