Avant de vous parler de ce grand roman-fleuve, je vous avoue que cela m'a un peu émue de lire un livre publié en 1954 (année de naissance de mes parents) dans son édition traduite originale (Hachette, coll. Grands romans étrangers). Un papier qui a quelque peu jauni et une forte reliure cousue qui tiennent bien la route.
Il ne me fut pas aisé de me procurer "La dame aux chevaliers" ; Anya Seton, auteure de nombreux best-sellers, n'est plus éditée aujourd'hui et les Editions Phébus devraient notamment s'intéresser de près à son oeuvre. Considéré par les Anglais comme l'un des plus grands romans à lire dans sa vie (sélection BBC), "La dame aux chevaliers" m'a d'abord attirée parce qu'il avait été réédité en France par Trévise, l'éditeur qui a enchanté toute mon adolescence grâce aux romans de Juliette Benzoni, à qui je dois mon appétence pour l'histoire, et plus particulièrement pour le Moyen-Age. Ah, les belles jaquettes des romans Trévise, comme elles ont fait rêver la jeune fille que j'étais !
D'ailleurs, en parlant de Juliette Benzoni, il me semble parfaitement improbable que notre "Alexandre Dumas en jupon" ne soit pas inspirée de "La dame aux chevaliers" pour écrire quelques dix ans plus tard, sa grande saga "Catherine" qui se déroule elle aussi pendant la Guerre de Cent Ans, entre peste et combats.
Katherine, c'est justement le nom de l'héroïne qu'Anya Seton nous invite à suivre pendant plusieurs centaines de pages. L'édition grand format en compte 500, texte écrit petit, les éditions anglo-saxonnes sont plutôt autour des 700, mais quoi qu'il en soit, "La dame aux chevaliers" est typement le roman dont vous sortez avec l'impression d'en avoir lu plus de mille.
Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre en commençant ma lecture et j'ai été de surprise en surprise. le roman commence effectivement comme un Juliette Benzoni ou un Anne Golon ; une orpheline, parfaite oie blanche, sort du couvent... Sur cette base, je m'attendais à de grandes envolées romanesques et ce n'était pas pour me déplaire. J'avais des envies de lectures réconfortantes, et en tête le souvenir de "La chambre des dames", de "Catherine" ou encore d'"Ogier d'Argouges". Quel ne fut pas mon étonnement en comprenant brusquement que "La dame aux chevaliers" était en réalité une biographie romancée parfaitement documentée !
Katherine de Roet, épouse Swynford, a réellement existé et quelle destinée fut la sienne ! Favorite du puissant Jean de Gand, duc de Lancastre, l'un des fils du roi Edouard III - à qui l'on doit la Guerre de Cent Ans, qui en dura presque 150, merci Eddy ! -, Katherine fit souche royale en donnant à son ducal amant quatre enfants légitimés qui joueront leur partie dans la future guerre civile des Deux Roses. Stuart et Tudor descendent de cette lignée, excusez du peu.
Anya Seton s'est énormément documentée pour écrire ce roman, elle s'en explique modestement en fin de volume. L'immersion dans l'Angleterre et l'Aquitaine médiévales qu'elle propose au lecteur est intense et très vivante. C'est une plongée en eaux profondes d'où l'on ressort tout à la fois effrayé et fasciné.
La narration est d'une densité assez incroyable, j'ai eu l'impression de vivre un long voyage, non exempt de quelques longueurs vite pardonnées, et dont l'action quasi incessante s'étant sur près de soixante années, soit l'espérance de vie maximale de l'époque - et encore pas pour un serf ou un soldat. le XIVème siècle occidental est si complexe que je tire mon chapeau à Anya Seton pour sa maîtrise du contexte géopolitique, social, religieux et culturel. Bien qu'américaine, l'auteur est anglaise par son père et a passé sur la perfide Albion plusieurs années, certaines entièrement consacrées à ses recherches dans les archives et parmi les ruines.
Je referme ce roman avec une grande satisfaction. Ce grand destin de favorite m'a remémoré le plaisir vif que j'avais pris à découvrir celui d'une autre grande favorite royale à travers le superbe "Ambre" de Kathleen Winsor, du même acabit.