Bien loin de nos préoccupations quotidiennes d'Occidentaux sédentaires

Le Chant qui donne son titre au roman est celui qu'entonne Dombuk, une jeune nomade de l'Altaï — chacun sait qu'il s'agit d'une chaîne de montagnes s'étendant entre les états actuels de Mongolie, de Russie, de Chine et du Kazakhstan. Il s'agit pour l'adolescente de convaincre une jument qui vient de perdre son petit d'offrir son lait à un poulain dont la mère est morte ; cette tâche d'une grande importance pour la pérennité du troupeau fait office de fil rouge dans ce récit, moins imaginaire qu'inspiré de "la vie elle-même", ainsi que le confesse l'auteur dans ses dernières pages. On le voit, nous sommes ici bien loin de nos préoccupations quotidiennes d'Occidentaux sédentaires !


Les éleveurs de l'Altaï évoluent au sein d'un paysage grandiose, magnifiquement décrit par Galsan Tschinag. C'est aussi un monde âpre, cruel, tout en étant profondément humain. Une mère peut étrangler son fils de dix ans parce que celui-ci se revendique Kazakh comme son père et non Touva comme elle ; un chasseur peut être dévasté après avoir abattu une marmotte qui allaitait encore ses cinq petits... Le récit se déroule au milieu du 20ème siècle, à une époque où ce monde que l'on croyait immuable se métamorphose : le Chant qui touche à sa fin est aussi celui des chamans, car bientôt les Touva iront chercher leur subsistance loin de leurs montagnes, dans des cités industrielles où ils connaîtront les joies de la radio et du réfrigérateur.


L'auteur est de nationalité mongole mais, ayant vécu en ex-RDA, il écrit dans la langue de Goethe. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il n'y a pas l'impression d'étrangeté, voire d'imperméabilité, que l'on peut ressentir à la lecture d'autres romans issus de cultures lointaines. "La Fin du Chant" est fortement dépaysant mais reste accessible. Dans le portrait de ces personnages au mode de vie si différent du nôtre, on retrouve d'ailleurs quelques traits universels : ainsi Dombuk, l'adolescente débrouillarde, qui en tant qu'aînée de la fratrie doit assumer des tâches d'adulte ; son père Schuumur, le chasseur taciturne, partagé entre le souvenir de sa défunte épouse et les possibilités offertes par le retour de son ancienne amante ; Gulundshaa, l'amante en question, qui rechigne à s'immiscer dans leurs affaires de famille mais désirerait mettre un terme à sa solitude...


"La Fin du Chant" est un court roman qui peut se lire en un après-midi, comme une parenthèse bienvenue, une bonne bouffée d'air pur des montagnes. Cette excursion en Asie Centrale aux côtés de Galsan Tschinag a, pour ma part, été très concluante ; plusieurs de ses romans ayant été traduits en français, je sais d'ores et déjà que j'y retournerai bientôt.

Oliboile
7
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le 2 sept. 2017

Critique lue 191 fois

Oliboile

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