La maison des sept femmes par Aelyse
Je suis curieuse, et j'aime m'aventurer en terrain inconnu. Je ne connaissais absolument rien de l'histoire du Brésil, de la révolution farroupilha, ou de Bento Gonçalves: je pouvais donc savourer à l'avance le dépaysement.
C'est le premier reproche que je ferais à ce livre, du moins à sa version française: j'ai dû me rendre sur Wikipedia pour savoir quelle était la dimension historique, et quelle partie était romancée. Au final, je peux maintenant admettre le tour de force de l'auteur, puisque tous les personnages (la plupart du moins, je n'ai pas fait d'étude détaillée) ont existé, et que la saga a dû broder autour de ces éléments existants. Une petite page de contexte en début de livre, c'est à mes yeux trop peu pour le lecteur qui n'est pas familier avec le passé du Brésil.
En ce qui concerne l'histoire... bon, je ne vais pas mentir, je me suis cruellement ennuyée. Je ne sais pas si Leticia Wierzchowski n'a pas osé prendre trop de risques avec ses personnages et les a délibérément laissé dans le vague pour ne pas risquer de heurter la réalité, mais j'ai trouvé qu'ils étaient tous en carton. Rien ne les différenciait à mes yeux, j'ai mis des centaines de pages à les reconnaître. Je remercie Rosário pour ses troubles mentaux et Manuela pour son journal, ça m'a au moins permis de les identifier plus facilement. Mais à part elles, qu'est-ce qui différencie Ana d'Antônia, Perpétua de Mariana, Leão de Marco Antônio? Ils ont tous le même caractère, les mêmes réactions ou presque, et seul ce qui leur arrive (soit pas grand chose) aide un peu à démêler le tout.
C'est plutôt gênant quand on nous annonce la mort d'un personnage, et qu'on n'a aucune idée de qui c'est. Un mari, un fils, un frère? Bonne question. Espérons que l'une d'elle s'écrie "Ciel, mon mari!" ou "Non, pitié, pas mon fils!", sinon tout ça reste très brouillon. Ca m'est arrivé quelques fois... Peut-être que la raison, outre l'écriture, est à chercher dans le nombre de personnages conjugué à l'exotisme de leurs prénoms: j'ai eu le même problème quand j'ai commencé à lire des mangas, ce n'est pas toujours facile de s'y retrouver. Surtout quand trois générations portent le même prénom. Ou que le fils de Caetana s'appelle Caetano (la bonne blague), mais l'auteur n'y peut rien, ce sont les faits. Bon, je dis ça pour chercher des excuses, je ne suis pas sûre qu'avec des Madeleine, des Thérèse et des Fernand, ce soit mieux passé, pour être honnête.
Un autre détail qui m'a frustrée, c'est le journal de Manuela. D'une part, je me suis rendue compte que j'avais plutôt intérêt à bien regarder la date, puisque tout n'est pas rédigé à la même époque. Une partie est écrite pendant les événements, ce qui donne un peu plus de profondeur, d'émotion et d'énergie aux scènes évoquées; mais d'autres datent de bien longtemps après, tour à tour 1883, 1880, 1900, puis 1848, 1860... C'est comme un voyage dans une DeLorean dont on aurait perdu le contrôle. Pourquoi, petit Jésus, pourquoi? Utiliser un journal intime rédigé pendant l'intrigue, oui, très bien, je comprends l'intérêt. Utiliser des mémoires ou une autobiographie, pas de souci. Mais pourquoi ces hoquets temporels? Quelle est la justification? Qu'est-ce que ça apporte?
Même le Docteur en ferait des malaises si ça arrivait au TARDIS.
J'ajoute que j'ai rarement trouvé un journal intime (ou des mémoires, ou une autobiographie, comme vous voulez) aussi peu crédible(s). J'admets qu'on ait retenu une phrase ou un échange marquant, malgré les années, ou une plus longue discussion, dans les grandes lignes, si on se jette sur son cahier juste après pour la restituer. Mais des dialogues entiers? Là, je décroche. En somme, tout ce qui différencie les carnets de Manuela du reste du roman, c'est l'utilisation de la première personne pour la narration, et cette épilepsie temporelle agaçante.
Quelques choix de traduction, ou plutôt de non-traduction en l'occurence, m'ont laissée perplexe. Personnellement je parle espagnol, du moins assez pour comprendre les paroles d'Esteban, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. D'accord, ça n'apporte pas grand chose à l'intrigue, mais pourquoi ne pas avoir pris la peine de les traduire systématiquement en bas de page?
Mais tout n'est pas mauvais, rassurez-vous! Sans quoi, je n'aurais sans doute pas pris la peine de terminer ce livre. Il y a bien quelque chose qui m'a poussée à aller jusqu'au bout. Même si je m'attendais à plus d'émotion, à une écriture moins clinique et froide (est-ce à imputer à la culture brésilienne? Ca ne m'avait pas choquée chez Coelho et José Mauro de Vasconcelos), l'histoire reste très intéressante. J'ai aimé découvrir cette révolution et ses idéaux, la vie à l'estancia, la mala suerte, les tragédies frappant les femmes... mais j'ai tout de même l'impression d'un rendez-vous manqué. J'aurais voulu savoir comment se passaient exactement ces journées d'attente et d'angoisse, tout ce que je sais c'est qu'elles partageaient leur temps entre prières et travaux d'aiguilles, ce qui reste vague. Cela manquait des petits détails qui tissent la trame du quotidien, des petits riens qui ancrent dans la réalité. Peut-on vraiment ne faire que prier et broder pendant dix ans? Sans plaisirs minuscules, sans contrariétés insignifiantes?
En somme, je voulais de l'émotion, je voulais avoir de l'empathie pour les personnages, espérer chaque lettre, chaque dépêche avec la même ardeur et la même angoisse, avoir l'impression d'être la huitième femme de l'estancia...
Je n'ai eu qu'un récit historique fort bien documenté et agréablement rédigé.
Non, ce n'est pas le nouvel "Autant en emporte le vent". Dommage.
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