Il s'agissait pour moi d'une relecture, et j'ai été sidérée de voir tout ce que j'avais loupé la première fois! Ca ne m'avait pas empêché de l'adorer, c'est donc clairement un bon point: on peut le lire de différentes manières, à des âges différents, à différents niveaux, sans que cela perde de sa magie. Evidemment, ce roman ayant reçu le prix Pulitzer en 1988, on s'attend logiquement à ce que ce ne soit pas du même acabit que "Martine à la plage", mais style de qualité ne signifie pas style illisible. Seules certaines brèves parties (sublimes, d'ailleurs) sont hachées et énigmatiques, mais n'entravent pas la fluidité de l'écriture.
On aborde donc le thème douloureux de l'esclavage aux Etats-Unis. D'un côté, le "Bon Abri" de monsieur Garner, où les noirs étaient des hommes, des travailleurs dignes de respect, et non des animaux. Mais cette vision vaguement présentable de l'esclavage vole en éclats face aux cruautés des autres blancs, notamment de Maître d'Ecole, qui traite les Noirs moins bien que son propre bétail. C'est difficile à lire (le mors, notamment, est terriblement pénible à imaginer), révoltant, bouleversant.
Mais l'esclavage est le passé dont les personnages principaux tentent de se relever... si c'est possible. Comment reprendre goût à la vie quand on a été confronté au pire? Comment faire confiance à nouveau, quand on sait de quoi est capable l'être humain? Qu'est-ce que la liberté, au juste?
Quand on aime, jusqu'où aimer?
Ce n'est pas un roman facile, que ce soit par le thème ou par l'écriture (je vous l'ai dit, ce n'est pas "Martine à la plage"), plusieurs scènes sont très dures, mais il vaut définitivement la peine de s'y plonger. C'est le genre de livres qui fait réfléchir, qui provoque peu à peu l'empathie la plus complète avec les personnages, et traîne encore dans la tête bien après que l'on ait tourné la dernière page. Quand on se rend compte qu'à la place de Sethe, on aurait peut-être fait la même chose, et que la morale entre en lutte avec la compassion.
J'en viens au thème de la maternité. Je l'avais compris en surface (je ne suis quand même pas bigleuse) durant ma première lecture, du haut de mes vingt ans, du temps où j'étais pure et fraîche comme une pâquerette. Maintenant que je suis devenue maman et que je suis un peu plus renseignée sur les trucs de bébés, le parallèle entre l'évolution d'un enfant et celui de Beloved est flagrant. Une re-naissance en pure et due forme.
Il reste bien des questions à la fin du roman, et cela participe à sa richesse, puisqu'on a aussitôt envie de s'y replonger pour dénouer les fils ténus qu'on pense avoir saisis. Toute l'histoire grouille de non-dits, de petits secrets, les révélations ne sont faites qu'à demi-mots ou au contraire noyées dans un flot de paroles. Il y a sans doute matière à quantités de thèses et d'analyses (j'avoue que certains détails me démangent, comme la symbolique de l'arbre que Sethe porte dans le dos: c'est ouvert à des tonnes d'interprétations).
Allez, disons que je le relirai encore dans dix ans, histoire de voir ce que j'y découvrirai de neuf!
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