Plus qu'un simple passage en revue des différentes métaphores dans lesquelles une maladie tient lieu de comparant, "la Maladie comme métaphore" propose une étude des différentes connotations prises au fil des siècles par la maladie — principalement la tuberculose et le cancer, dont la confrontation structure une partie de l'essai. Les huit premiers chapitres pourraient ainsi constituer une partie d'un livre d'histoire des mentalités consacré aux maladies : le recours à des textes littéraires et historiques, une relative clarté, de la rigueur dans l'analyse, et ces rapprochements entre des éléments a priori sans rapport qui sont peut-être l'indice le plus manifeste de l'intelligence. Non seulement on apprend des choses dans "la Maladie comme métaphore", mais on apprend aussi comment son auteur pense.
Bien sûr, on aurait parfois aimé que le propos fût plus approfondi. Ainsi, lorsque l'auteur explique que « Les sentiments à l'égard du mal sont projetés sur une maladie. Celle-ci (considérablement plus riche de sens) est à son tour projetée sur le monde. » (p. 80), il n'aurait pas été hors sujet d'évoquer en détails les procédés du langage à l'œuvre dans cette double projection — mais c'est aussi le prix des textes stimulants : ils peuvent laisser le lecteur sur sa faim. Par ailleurs, le texte peut faire naître un certain malaise : sans être cancérologue, et ignorant l'état des connaissances en la matière l'année de la publication de l'ouvrage (1978), je trouve qu'il balaie bien légèrement les facteurs environnementaux lorsqu'il évoque les différentes causes du cancer (fin du chapitre 9).
Gênant encore est le dernier chapitre, gâché par un défaut que Susan Sontag, qui fréquenta Roland Barthes, partage avec bien des intellectuels de gauche des années 1960 et 1970 : voir partout de l'oppression, voire du fascisme. Cela la mène à perdre beaucoup de mesure : « Parler de cancer pour rendre compte d'un phénomène, c'est inciter à la violence. […] les métaphores liées au cancer portent en elles, et implicitement, l'idée de génocide » (p. 109). La fin du texte préfigure aussi le "politically correct" qui a pris son essor depuis (« ce que l'on appelle le “système de défense immunitaire” peut aussi rompre avec la métaphore militaire et devenir la “compétence immunologique” », p. 113).
Dommage : c'est quand le texte se faisait le moins ouvertement polémique qu'il était le plus intéressant.
"Le Sida et ses métaphores", écrit dix ans après la Maladie comme métaphore, et né d'une de ses relectures par l'auteur (p. 119), commence par en synthétiser certains propos. Le sida n'est pas envisagé très tôt, car le cœur du texte introduit ensuite des considérations plus générales sur différentes maladies, non du point de vue strictement médical, mais de celui des mentalités. À cet égard, la dichotomie entre corps et visage, ou encore la métaphore de la peste (« elle permet à une maladie d'être considérée à la fois comme le châtiment auquel s'exposent les “autres”, et le mal qui risque de frapper chacun de “nous” », p. 193) sont des notions particulièrement fécondes, qui portent le lecteur vers d'autres horizons que celui du sida, ou même de la maladie en général. L'auteur présente donc, en le développement succinctement, une partie de l'appareil théorique dont elle se servira en fin d'ouvrage, avec les mêmes qualités que dans la Maladie comme métaphore.
À ce stade, on ne peut pas taire l'année de publication du "Sida et ses métaphores". Qu'on imagine relire aujourd'hui un texte sur le cinéma publié vers 1925, ou un texte sur le christianisme datant de l'an 500 : en 1988, le sida est une maladie installée mais encore méconnue. D'où des développements qui paraissent datés : « les attitudes courantes, envers la maladie et la médecine et la médecine, ainsi que vis-à-vis de la sexualité et de la catastrophe » ont pris le « tournant » auquel appelle l'auteur (p. 204). Et si le sida, toujours, « apporte de l'eau au moulin de la culture de l'intérêt personnel » (p. 206), il a depuis été dépassé sur ce terrain par bien d'autres pouvoirs que l'auteur effleure seulement (comme l'informatique) ou ne traite pas — ce qu'on ne saurait lui reprocher, car ce n'est pas le propos de son ouvrage.
De fait, le propos de Susan Sontag est le plus pertinent quand il porte sur les maladies en général, ou sur le contexte de l'apparition du sida (la société de consommation, la « catastrophe »), non sur le sida en particulier.