- Week-end pascal oblige, je vais vous entretenir de la maladie du foie. Au Moyen-Age, donc, la maladie du foie - et plus précisément la crise de foie - était déjà largement répandue, surtout en raison des abominables tord-boyaux que buvaient les bonnes gens, et les piquettes infâmes qui remplaçaient l'eau potable - qui n'était pas courante mais qui pouvait vous la filer. D'après l'étude très précise qu'en fit la célèbre medieval-medicine-woman, Hildegarde de Bingen, dans son mémorable traité "De la tysane pour essuder les noires cyrrhoses, ou la byle estudiée", il s'avère que...
- Non, mais Gwen, le 1er avril, c'est passé, trop tard pour un poisson alors ton Hildegarde de Bidule, son pisse-mémé et toi, vous repasserez !
- Bon, ok, puisque vous n'avez aucun humour, parlons peu mais parlons bien de l'essai de Lydia Bonnaventure, "La maladie et la foi au Moyen Age". On reprend depuis le début...
Tout d'abord, je tiens à dire que ce qui est admirable avec cette étude fort bien documentée de la médiéviste Lydia Bonnaventure, c'est son traitement parfaitement équilibré entre la vulgarisation et l'érudition. Pour avoir moi-même hanté les couloirs d'une faculté d'histoire, j'en ai soupé des essais arides et impénétrables qui n'intéressent que leurs auteurs - et, à l'extrême limite, leurs directeurs de thèse. Avec "Les Miracles de Notre Dame" du prieur Gautier de Coinci (1178 - 1236), Lydia Bonnaventure réussit le miracle de nous faire pénétrer dans un univers désigné d'un nom si laid - l'obscurantisme - qu'aucun être sain de corps et d'esprit, comme vous et moi, ne consentirait à en fouler le seuil.
Mais, d'abord, que sont ces fameux "Miracles de Notre Dame" ? Tout simplement un best-seller du XIIIème siècle. Comment ça vous ne connaissiez pas ? Bande de mécréants... Évoquer le Moyen Age et la maladie, vous conviendrez avec moi que ça suffit à donner la colique ; on frissonne rien que de penser à la lèpre, au mal des ardents, à la peste bubonique, à la simple infection qui vous envoie à la fosse, bref à toutes ces horreurs - dont certaines hélas ne sont toujours pas éradiquées en 2015 ; on se pâme avec raison en songeant aux "médecins" et guérisseurs, arracheurs de dents et barbiers, accoucheuses et apothicaires de tout poil. Cependant, si évoquer l'obscurantisme nous amène fatalement, pauvres néophytes, à stéréotyper le Moyen Age, à diaboliser le clergé, à tirer vers le bas le niveau d'hygiène (que l'auteur s'entend à réhabiliter, merci à elle) et à penser que c'est par le culte des reliques et la tradition orale qu'il s'est surtout répandu, depuis l'homélie du prédicateur aux contes des anciens à la veillée, il ne faudrait pas oublier que des écrits ont aussi existé et ont concouru à propager les associations mystiques et irrationnelles entre les maux humains et les entités divines. D'ailleurs, il est fort justement dit en 4ème de couverture : "Au Moyen-Age, la foi est omniprésente. On aime Dieu mais on le craint, on vénère la Vierge, les saints, on croit au pouvoir des reliques... De ce point de vue, la maladie est punition du pécheur, la guérison est récompense ou miséricorde". Cette vue de l'esprit (ni sain, ni saint) a donc en partie été diffusée par des textes à succès tels que les "Miracles" qui, à l'instar des hagiographies et à en croire le nombre impressionnant d'exemplaires actuellement conservés, étaient très populaires. D'autant qu'en ce qui concerne les miracles, le commun des mortels - même le paysan - pouvait y jouer un rôle. Si ça se trouve, vous et moi y aurions eu une place de choix si nous étions nés il y a huit siècles.
Lydia Bonnaventure développe son étude avec précision et concision car, oui, on aurait pu craindre le pire, comme l'analyse linéaire des 30 000 octosyllabes composant "Les Miracles de Notre Dame". Aucune crainte à avoir ici, l'angle choisi étant thématique, vous serez brillamment éclairés sur les rapports de la société à la maladie (les choses ont-elles réellement évolué ?), sur les maladies elles-mêmes et enfin sur leur symbolisme. Vraiment très instructif.
L'auteur le répète à de nombreuses reprises, Gautier de Coinci est un moralisateur, les messages qu'il souhaite transmettre à travers ses "Miracles" sont destinés à impressionner, à influencer et à convertir. Il vise toutes les catégories sociales - en cela, son oeuvre est réellement novatrice - et il nous offre, à nous lecteurs du XXIème siècle, un précieux témoignage sur son époque et ses mœurs, une source précieuse d'enseignement sur une société encore connue essentiellement dans ses grandes lignes. Au-delà de l'obscurantisme porteur de nombreux clichés, "Les Miracles" de Coinci nous renseignent sur l'étroite relation - devrais-je dire connexion ? - entre l'homme et Dieu, entre la créature et son Créateur car la maladie n'était pas le seul aspect de la vie alors lié à la religion, la vie entière y était liée. Une conception de l'existence si différente de la nôtre que c'est un miracle qu'on arrive seulement à se la représenter. Gautier de Coinci et Lydia Bonnaventure nous y aident.