"See that? `Mark of the B--beasht! I made it. Isn't it fine?"
Malgré la sympathie manifeste et l'admiration de Kipling pour l'Empire britannique, son œuvre est plus profonde que ça et laisse transparaitre une vision plus cynique et sombre de la colonisation. A ce titre "La Marque de la Bête", allégorie des relations entre les colons britanniques et les indiens colonisés, trouve sa place auprès de "L'Homme qui voulut être Roi".
Les évènements contés ne sont que trompeusement simples. Fleete, un nouveau propriétaire terrien fraichement arrivé d'Albion et porté sur la bouteille, profane le soir du Nouvel-An, complètement ivre, l'idole du Dieu-singe Hanuman en écrasant sur son front la fin de son cigare. "See that? `Mark of the B--beast! I made it. Isn't it fine?" fera-t’il à ses deux compères Kipling, le narrateur, et Strickland (ami de Kipling et personnage récurrent de ses nouvelles).
Surgi alors de derrière l'image du Dieu un lépreux nu et écarlate, l'Homme d'Argent, qui, avant que Kipling et Strickland aient pu arracher Fleete au temple, vint porter une marque sur la poitrine de l'ivrogne de sa tête. S'en suivra une lente et douloureuse transformation du pauvre bougre en bête qui ne sera finalement conjurée qu'au prix d'un lourd tribu, celui du déshonneur des deux anglais.
La rencontre entre Fleete et l'idole d'Hanuman suggère évidement la première rencontre entre colonisateurs et colonisés. La marque de la bête, Fleete la porte sur sa poitrine. C'est lui qui se l'est faite.
La nouvelle est courte, brutale et dépasse les limites de la bienséance : elle est crue, dégoutante, terrifiante mais incontestablement fascinante. Elle commence par un proverbe indigène ("De vos dieux ou des miens - vous ou moi savons-nous quels sont les plus forts?") et se termine par cette déclaration ironique de Kipling : "it is well known to every right-minded man that the gods of the heathen are stone and brass, and any attempt to deal with them otherwise is justly condemned".
Deux autres nouvelles valent la lecture. Bisesa, d'abord, qu'on peut résumer par le proverbe hindou qu'il l'ouvre ("Qu'importe à l'amour la caste ou au sommeil un lit rompu! Je suis allé chercher l'amour, et je me suis perdu.") et Le retour d'Imray, en second lieu, qui remet en scène Kipling et Strickland mais cette fois dans le bungallow du jeune indien Imray disparu du monde depuis des mois. L'histoire est peu vraisemblable mais ce qui compte c'est l'ambiance pesante qu'il arrive encore à créer.
La note ne concerne que La Marque de la Bête. Pour les deux autres c'eût été respectivement 6 et 7.