"L'homme à l'anorak jaune" : le diable se cache dans les détails

Ou comment un détail sans importance peut entrer dans notre tête, s’insinuer dans notre conscience jusqu’à l’obsession, voire la folie …


« L’homme à l’anorak jaune » fait partie du recueil de sept nouvelles La nuit sans fin de Thierry Horguelin aux éditions L’Oie de Cravan, Montréal.


Le narrateur, un homme sans emploi, aime prêter une attention toute particulière aux détails lorsqu’il regarde des films et des séries. Il oublie très vite les intrigues des films, mais garde une bonne mémoire visuelle des détails : décors, accessoires, figurants…
Lors de ses nuits d’insomnie passées devant la télévision, « trop fatigué pour lire, mais trop énervé pour trouver le sommeil », il découvre, au milieu de « cette salade d‘images », une série policière américaine de seconde zone intitulée « Simple Cops ». Cette série se passe à Cleveland, ville dévastée par la grande pauvreté et le chômage. Il commence à s’y intéresser, d’abord pour se raccrocher à quelque chose afin de ne pas sombrer dans la dépression, ensuite car un détail récurrent de la série et qui n’a aucun lien avec l’histoire a su piquer son intérêt. Il remarque qu’un figurant en anorak jaune apparaît dans différents épisodes. Curieux, il commence à se procurer plusieurs épisodes de cette série et constate que l’homme à l’anorak jaune y apparaît systématiquement, souvent de manière furtive. Quelques mois plus tard, l’explication étrange de cette présence obsédante lui apparaît, mais son interprétation est-elle exacte ou le narrateur a-t-il perdu la raison ?


Cette nouvelle peut être classée dans le genre de l’inquiétante étrangeté, du thriller, même si au début, l’auteur utilise volontiers l’humour pour décrire les émissions télévisées nocturnes. Il décrit bien le côté répétitif et prévisible de toutes ces séries criminelles ; « c’est la scène classique de l’engueulade entre l’inspecteur moi-je-travaille-sur-le-terrain et son supérieur hiérarchique le-règlement-c’est-le-règlement ». Il décrit à merveille le manque de budget de la série qui offrait « une grande variété de décors auxquels le manque manifeste de moyens de la production conférait un caractère quasi documentaire », ainsi que le destin tragique des comédiens sans talents « on finissait (…) par s’attacher aux personnages, ou plus exactement aux efforts sympathiques des comédiens – tous braves soutiers de la télé auxquels avait manqué ce soupçon de charisme en plus qui fait décoller une carrière – pour faire croire à leurs rôles ». Enfin, l’auteur ne manque pas d’humour quand le narrateur essaye de comprendre les motifs des scénaristes à placer ce figurant mystérieux dans chaque épisode : s’agit-il « d’une private joke » ou d’une « contrainte gratuite imposée par un producteur cinglé fan de l’OuLiPo ». Cette critique cynique des séries télévisées est très fine, très spirituelle, voire intellectuelle. Le fait que l’auteur ait été lui-même critique de cinéma n’y est pas pour rien. Mais par la suite, le lecteur glisse dans un monde étrange, lorsque le narrateur révèle ce qui est arrivé à l’homme à l’anorak jaune.
L’auteur utilise une écriture très visuelle, notamment lorsqu’il décrit les épisodes de la série ou la ville de Cleveland. Le style du texte est direct, avec un langage de type quotidien, sans fioritures, mais certaines références font appel à des connaissances culturelles (tableau de Hopper, OuLiPo, séries de Steve Bouchco…), ces clins d’œil au lecteur apportent une dimension supplémentaire et plaisante à cette nouvelle.
Une conséquence inattendue de la lecture de cette nouvelle sera peut-être que le lecteur percevra désormais les séries télévisées d’une autre manière, en s’attachant aux détails.


En conclusion, cette nouvelle, forme hybride entre une critique des séries policières et un thriller mérite vraiment d’être lue, surtout s’il vous est déjà arrivé, en regardant un énième épisode des Experts diffusés dans le désordre, de vous demander si vous n’aviez pas déjà vu cet épisode tellement la fin est prévisible.


Thierry Horguelin, né en 1965, est un québécois vivant en Belgique depuis 1991. Durant 20 ans, il fut critique de livre et de film, après avoir été libraire. Il travaille aujourd’hui dans l’édition et est auteur de recueils de nouvelles.

LucieBoulvain
7
Écrit par

Créée

le 14 mars 2018

Critique lue 334 fois

Lucie Boulvain

Écrit par

Critique lue 334 fois

D'autres avis sur La nuit sans fin

La nuit sans fin
J_C__Palire
8

"L'homme à l'anorak jaune" : Coincé dans l’image

Un homme morose passe ses nuits d’insomnie à attendre l’apparition d’un clochard portant un anorak jaune et qui traîne à l’arrière-plan d’une de ces séries policières américaines diffusées aux heures...

le 12 mars 2018

La nuit sans fin
CharlyLeroy
7

« L’homme à l’anorak jaune » : une nuit et un texte sans fin…

« L’homme à l’anorak jaune » est une nouvelle du deuxième recueil de Thierry Horguelin : « La nuit sans fin », sortie en 2010. Né à Montréal, il quittera son pays pour venir vivre à Liège. Il...

le 11 mars 2018

La nuit sans fin
Nuage-de-gris
7

Le temps est pour ou contre nous?

Né à Montréal, Thierry Horguelin vit en Belgique. Il fut libraire, puis longtemps critique littéraire et de cinéma. Il travaille aujourd’hui dans l’édition. Auteur de recueils de nouvelles et de...

le 11 avr. 2016

Du même critique

Propriétés privées
LucieBoulvain
5

Desperate Housewives version béret - baguette

Pascale Fonteneau nous emmène sillonner un quartier pavillonnaire où apparaissent des cadavres sur fond de ragots. L’histoire commence quand Henri Frot part en « patrouille » avec un de ses voisins,...

le 14 mars 2018