Un homme morose passe ses nuits d’insomnie à attendre l’apparition d’un clochard portant un anorak jaune et qui traîne à l’arrière-plan d’une de ces séries policières américaines diffusées aux heures les plus tardives. Cette attente obsessive le divertit de son spleen et occupe son esprit. Un jour, son destin se réveille ; mais l’homme à l’anorak jaune, lui, s’en est-il sorti ?
Dans cette courte nouvelle de vingt-deux pages, parue chez L’oie de Cravan en 2010 dans un recueil intitulé “La nuit sans fin”, on devine que Thierry Horguelin - lui-même critique de film et de littérature - est ce narrateur sous antidépresseur qui nous raconte ce passage dans sa vie. Il nous emmène dans ses longues nuits sans sommeil et nous suivons avec lui “Simple Cops”, une terne série policière à laquelle il se raccroche pourtant, comme on s’agrippe à une bouée de sauvetage, pour ne pas sombrer dans la dépression. La série déroule tous les poncifs du genre, que l’auteur énumère en critique connaisseur. Mais cette pauvre chose télévisuelle reléguée en bouche-trou nocturne le réconforte malgré tout par son côté attendu, répétitif et sans surprise. Jusqu’au moment où il repère, noyé dans le décor, l’homme à l’anorak jaune. Commence alors sa quête et l’obsession qui lui fera un temps oublier sa déprime : qui est cet homme ? Est-il là par hasard ? Le verra-t-on à chaque épisode ? Le narrateur mène son enquête et enregistre chaque épisode. Il traîne effectivement son anorak jaunâtre d’épisode en épisode, à la stupeur du téléspectateur insomniaque.
Un jour pourtant la diffusion de “Simple cops” s’arrête net en plein milieu de la saison au grand désespoir de son peut-être unique spectateur. Thierry Horguelin ne connaîtra-t-il jamais la raison de la présence fuyante et systématique de cet homme ? Heureusement, une offre d’emploi à Berlin amène l’auteur à changer de vie et sa nouvelle occupation l’aide à oublier un peu son obsession. Il ne pense plus - ou presque - au vagabond. Mais un jour, à Cologne, passe au cinéma un “gros thriller” inintéressant si ce n’est qu’il se déroule, justement, à Cleveland. L’auteur qui, lors de ses nuits blanches s’est attaché aux rues sordides de “la ville la plus pauvre des États-Unis” achète son ticket d’entrée. L’homme à l’anorak jaune semble “coincé dans l’image de Cleveland”...
Dans cette nouvelle, Thierry Horguelin, écrivain québécois qui vit aujourd'hui à Bruxelles, nous montre comment “la plupart du temps, on ne regarde pas vraiment les films”. L’auteur de plusieurs recueils de nouvelles et de proses brèves (“le Voyageur de la nuit”, “la Nuit sans fin” - prix Frans De Wever 2009, “Choses vues”, “Alphabétiques” et “Nouvelles de l’autre vie”, coscénariste du film "la Part de l’ombre”, d’Olivier Smolders) fut auparavant critique littéraire et critique de film. Il nous donne la curieuse envie d’allumer la télévision au milieu de la nuit pour vérifier si un homme à l'anorak jaune n’erre pas encore dans le cul-de-sac des programmes de la nuit. Il nous fait une démonstration de sa façon, peut-être, de travailler, lorsqu’il rédige une critique. Il nous parle des histoires dans l’histoire. Il nous parle du sentiment étrange qui peut nous envahir parfois après un livre ou un film et de la vérité alternative dans laquelle on flotte alors, l’espace d’un instant. Dans un style simple et clair, iI rend passionnant le banal et l’on se surprend nous-mêmes à ne plus suivre l’intrigue et à regarder dans les coins. Un régal.