“C’est l’histoire d’un homme qui sort de chez lui”. C’est en France ou en Belgique, on ne sait où. Ça n’a pas d’importance d’ailleurs, des quartiers pavillonnaires comme le lotissement des Fleurs, il y en a partout. Une paix feutrée y règne la plupart du temps, l’ennui et la médiocrité aussi, souvent. L’agression d’une jeune femme de ménage lors d’un cambriolage dans une maison proche vient changer la donne.
Finie la vie tranquille, exit la paix monotone : Henri Frot, triste quinquagénaire au chômage qu’Hélène vient de quitter après trente années de mariage, participe avec Robert (“une femme malade et deux chiens à nourrir”) aux rondes de la milice créée par tous ceux du voisinage - mis à part Weiss, un “emmerdeur”. Henri le casanier, lui qui sa vie durant a cherché discrétion et isolement, passe désormais ses soirées dans une voiture sillonnant les rues aux noms de fleurs avec Robert qui parle, raconte, surveille et affirme avec aplomb à propos d’un passant repéré plus tôt : ”Si ce gars était là sans raison, c’est qu’il était là pour de mauvaises raisons”.
Ce gars-là, Henri et Robert le retrouvent étendu au sol, un soir de ronde. Mort. Pour sauver la tranquillité du quartier et pour ne pas être accusés, les deux coéquipiers se débarrassent du corps. Paix de courte durée, le lendemain tout s’enchaine : un autre cadavre, la police qui déboule, puis Robert qui disparaît... Henri cogite dur. N’avait-il pas eu raison de rester à l’écart quand, dans sa vie d’avant - celle avec Hélène - il fuyait tout contact avec ses voisins ? Certains en tout cas auraient mieux fait de rester dans leur coin ou de partir “très loin de ce quartier de tarés”...
Pascale Fonteneau, journaliste et romancière française qui “se dit de Bruxelles” a fait du polar son domaine de prédilection malgré des incursions dans la bande dessinée et la littérature jeunesse. Dès 1992, dans “Confidences sur l’escalier”, l’auteure développe un style particulier qu’elle confirme avec son second roman, “État de lame” dont le narrateur est un objet, un couteau. Dans “Propriétés privées”, son quinzième roman publié chez Actes Sud en 2010 (collection Actes noirs), elle donne l’atmosphère grâce à un récit concis, sec, volontairement linéaire. Les chapitres courts s’enchaînent et font des aller-retour, tels les patrouilleurs dans les rues du lotissement, “allée des Lupins”, “impasse des Freesias”, “clos des Glycines”. La bêtise quasi unanime des habitants dont les discours et les attitudes semblent sortis des pires séries télévisées du dimanche après-midi un weekend de grisaille dont, on l’imagine, s’abreuve Robert le milicien, plombe l’ambiance. On étouffe dans les pensées d’Henri. On sue dans ses rêves éveillés ridicules. On aimerait rire, mais Pascale Fonteneau fait ce qu’il faut pour qu’un malaise glauque l’emporte. On angoisse, mais est-ce à cause des cadavres ou est-ce à cause des habitants du lotissement des Fleurs ? C’est sûrement en partie à cause des deux, mais c’est surtout grâce à la plume assurée de l’auteure que l’on ne s’enfuit pas illico du lotissement des Fleurs.
Si vous vous êtes déjà demandé ce que font les gens dans ces quartiers déserts à l’heure des informations télévisées, si vous cherchez un quartier tranquille où emménager, si vous aimez suffoquer dans un suspense poisseux ou si vous épiez vos voisins derrière les rideaux, lisez “Propriétés privées” de Pascale Fonteneau.