Là où sont les oiseaux est un roman qui a quelque chose de classique et en même temps d’original : classique dans le sens où cette histoire existe depuis la nuit des temps. Les hommes naissent, prennent l’espace, s’approprient le corps des femmes, n’assument pas leurs responsabilités, rejettent la faute sur les femmes, puis ils meurent. Les femmes naissent, se font discrètes, tentent d’échapper aux hommes qui les contraignent, cherchent des solutions pour cacher leur corps qui change, se sentent coupables, puis elles meurent. L’histoire de l’humanité n’est pas faite d’enfants légitimes. Qui pourrait se vanter d’avoir une lignée parfaite ? C’est donc une histoire parmi tant d’autres que nous raconte Maren Uthaug.
Mais le petit supplément d’âme de cette histoire, c’est la façon dont elle est écrite : l’autrice adopte trois points de vue : Johan, Darling, Marie. Chaque point de vue va éclairer le précédent. Si à la fin du roman le lecteur a connaissance de l’entièreté de la vie de cette famille si particulière, les personnages, eux, en revanche, continuent à vivre au milieu de secrets : secrets de famille, secrets conjugaux, secrets extra-conjugaux.
Cette manière de raconter l’histoire trois fois pourrait paraître lassante, redondante, or l’autrice manie parfaitement la forme et le style de voix qu’elle veut retranscrire. À chaque fois, c’est une nouvelle voix qui est utilisée pour apporter un regard neuf sur les événements. Et surtout, l’autrice détricote certaines vérités qu’on croyait acquises (par exemple sur les origines de Darling), elle nous donne les clés pour comprendre certains choses, qui peuvent alors nous horrifier. C’est de ce manière qu’elle instille en nous le dégoût pour l’homme.
Le roman est évidemment sombre, à cause des thématiques abordées, que je préfère vous laisser découvrir (pas de trigger warning ici, la littérature est faite pour bousculer, choquer).
Je me suis attachée aux personnages, pas parce que je les trouvais bons, moraux, ou sympathiques, mais parce qu’ils sont humains. Ils sont ambivalents et cherchent à préserver leur honneur au détriment de la morale, même quand ils ont reçu une éducation chrétienne particulièrement poussée (Marie est la fille d’un pasteur qui lui lisait ses sermons).
Ils vivent à une époque (les années 1930) où l’on sort peu de son village. Certains lecteurs parlent de huis clos, parce que l’action se déroule dans un phare. Je n’ai pas eu ce ressenti : la famille se déplace souvent sur le continent (qui n’est qu’à deux kilomètres), certains y passent plusieurs mois pour vivre au presbytère du père de Marie. Ils vont en ville, rencontrent du monde, ont des relations amicales avec des habitants du continent. Pour moi, ils ne vivent que quelques temps en huis clos, et l’autrice n’insiste pas tellement sur ce point, car elle utilise beaucoup les ellipses temporelles, afin justement d’éviter ce sentiment d’étouffer au phare.
Plusieurs d’entre eux aspirent à partir « en Amérique ». Johan désire y retrouver Hannah, son amour de jeunesse, tandis que sa fille Darling souhaite échapper aux atrocités qu’elle vit sur l’îlot. J’ai trouvé ces désirs d’une douce naïveté, comme si l’Amérique pouvait tout régler… On voit d’ailleurs que ce n’est pas le cas, quand Hannah revient aigrie et raconte la vérité sur la photo qu’elle avait envoyée à sa soeur : tous les habitants imaginaient qu’elle menait une belle vie, avec un bel homme et une voiture, alors qu’elle a simplement posé devant une voiture qui se trouvait là dans la rue. De la même façon, Darling n’a pas réellement une meilleure vie en arrivant aux Etats-Unis, contrainte de dépendre de son amie Gudrun, puis d’hommes dont elle se sert pour leur soutirer un peu d’argent.
Pour finir, j’ai trouvé que ce roman était excellent. Il remue, c’est sûr, mais les personnages sont finement décrits, le style est fluide et l’originalité réside dans la multiplication des récits.
https://telmalitteratures.blogspot.com/2024/08/la-ou-sont-les-oiseaux-maren-uthaug.html