Un essai prévisible de bout en bout, moralisateur et anachronique, mais amusant à lire à certains égards car son auteur tombe dans les pièges tissés avec sa propre mauvaise foi.
Ce qui est fascinant d'abord, c'est à quel point l'imprécision des notions utilisées aboutit à de grandes incompréhensions - hypothèse indulgente -, voire à des généralisations abusives - hypothèse raisonnablement sévère. Car le concept-titre de pensée blanche, qui ne va déjà pas de soi, n'est jamais défini (!) dans ce livre, et même après l'avoir lu de bout en bout, on se demande encore s'il s'agit 1) de la pensée de tous les "Blancs" - et alors, qu'est ce qu'un "Blanc" ? 2) d'une idéologie occidentale, européenne - mais s'agit-il de toute la civilisation occidentale, ou d'un dévoiement de celle-ci ? 3) d'une volonté de domination, et alors on se demande bien pourquoi elle serait spécifique aux "Blancs", et comment expliquer que le racisme, la xénophobie, la domination ont bien évidemment existé dans d'autres civilisations (Chine, Japon, monde arabe, civilisations pré colombiennes...) ?
Ce qui est amusant aussi, c'est que les raisonnements de Lilian Thuram sont de ceux qui s'inscrivent typiquement dans un cadre de pensée occidental. (Doit-on alors dire qu'ils sont "blancs" ?) Car si l'esclavagisme existe depuis des millénaires, comment se fait-il qu'il n'ait pas été aboli avant le XVIIIe siècle ? Pendant des siècles, les esclaves ont certainement déploré leur sort d'esclave ; mais il était considéré comme une "condition", et on n'est pas allés jusqu'à considérer cette condition comme une atteinte à une "dignité humaine" qui n'était de toute façon pas conceptualisée... Si l'esclavage a été créé en de nombreux endroits, l'abolition est le phénomène d'un seul... l'Occident. (Et pour être honnête, il faut bien reconnaître que c'est cette radicalité qui peut expliquer pourquoi c'est l'Occident qui a pu engendrer à la fois une esclavage d'ampleur inégalée - ce qui est incontestable - et son abolition.) C'est donc bien grâce à cette pensée occidentale universaliste si Thuram pense avec des catégories comme "l'humanisme", "l'antiracisme", "l'égaitéli"... Mais cette partie de l'histoire ne sera jamais mise au crédit de l'Occident pour Thuram qui semble estimer de façon bien anchronique que toute infraction du passé au regard de nos codes moraux actuels est passible d'une condamnation symbolique ad vitam aeternam.
Un peu de recul historique aurait donc été bienvenu dans cet essai dont pourtant l'auteur, on le sent, parait avoir fait pas mal de recherches pour un non-spécialiste. Mais ces recherches se font malheureusement toujours à sens unique, et toujours, plutôt que d'essayer d'appréhender simplement les faits de l'histoire, pour tâcher de démontrer son objectif militant, pour imposer sa pureté moral. Jusqu'à utiliser les arguments les plus fallacieux - l'autre critique de ce site fait d'ailleurs très bien la liste des absurdités de ce livre. La pensée de Thuram, qui se veut humaniste, est malheureusement une pensée manichéenne, en noir et blanc.
Pour les sujets qui ne concernent pas l'histoire occidentale elle-même, mais la situation contemporaine, Thuram a évidemment bien des difficultés à prouver en quoi le racisme est spécialement développé en Occident. Comme les penseurs de la pensée décoloniale qui lui ont servi d'inspiration, il invoque généralement pour cela le "racisme systémique". La plupart des chapitres du livre ont d'ailleurs la construction suivante : une accumulation de faits accablants tendant à montrer en quoi l'histoire occidentale est jalonnée de racisme, suivi d'une pirouette en fin de chapitre sous forme de question rhétorique pour dire : "Mais ne retrouve-t-on pas encore ce racisme aujourd'hui" ? Sans rien bien sûr, pour justifier un tel saut de pensée, apporter les éléments factuels qu'il s'est évertué à compiler, et c'est tout à son honneur, pour l'histoire de l'esclavage et de la colonisation. Tout se passe comme si Thuram entendait, par l'effet d'halo qu'il attribue au passé pour éclairer le présent, démontrer un racisme actuel avec le racisme ancien.
Dur, dur, donc, de prouver ce racisme systémique, car l'Etat garantit la liberté de droits, l'Etat condamne les discriminations, les actes mais aussi les paroles racistes. Et cette responsabilité prise par l'Etat sur ce sujet en Occident, est très loin d'être universelle aujourd'hui, rappelons-le... Quelle est donc la substance de ce mystérieux système, si les institutions le combattent, et s'il existe tellement peu de preuves concrètes d'un racisme généralisé dans notre société qu'on ne trouve rien de mieux pour le montrer que des exemples datant des années 1950 ?
On le saura pas, mais ce n'est pas si grave pour l'argumentation de Thuram, car il se contentera de dire que "l'Etat ne fait rien contre le racisme", et donc qu'ainsi le racisme est systémique. Evidemment, ce n'est pas avec ce livre et ses arguments qu'on sera convaincus.