Quelle chose étrange ! Cent six (j’ai compté) fragments, qui parfois se répètent avec de (plus ou moins importante)s variations. On trouve dans ce « Livre panique » des allégories manifestes (sexuelles) qui, entre autres, justifient le sous-titre, les douze signes du zodiaque (avec des étoiles) (fragments 14, 24 et 72), une « fillette nue, à cheval » (fragments 21 et 81), une part d’inceste (platonique), une lettre (administrative) d’un paranoïaque (fragment 18), « trois cartes : “l’étoile”, “le pendu” et “l’empereur” » (fragment 43)… Cela commence (et finit) par (fragments 1 et 106) une « bulle d’air [qui] se promène de mon cerveau à mon cœur et de mon cœur à mon cerveau »…
Pour qui a déjà vu (ou lu) Baal Babylone (alias Viva la muerte) d’Arrabal, l’omniprésence dans la Pierre de la folie d’un ésotérisme / occultisme fleurant bon les années 60 et 70 et la récurrence d’une sexualité qu’on qualifiera pudiquement de problématique (« Le curé est venu voir ma mère… » etc., fragments 6, 80, et 95) n’ont donc rien de surprenant. Ce qui est plus intrigant, c’est que tout cela, écrit dans un langage qui est celui du rêve, semi-hermétique (ou semi-ouvert, bien sûr), et qui, par conséquent, ne cherche pas la poésie dans la musicalité des mots, puisse devenir aussi captivant ; j’admets qu’on puisse interrompre sa lecture de la Pierre de la folie au troisième fragment mais je ne comprendrais pas qu’une fois passées les dix premières pages, on referme le livre (sans y être forcé par une contrainte extérieure).
Je parlais du manque de musicalité de cette étrange prose (ou prosodie ?). Pour être plus précis, certains passages (doivent ? ou) peuvent être psalmodiés : « Malade, malade, malheur, mandat, manger, mal, ma, mander, mandais, ma, mal, maman, mehr, maîtres, maîtres, maîtresse » etc. (fragments 33, 56, 77). Dans tous les autres, la poésie naît des images, que leur souplesse et leur éclat (on dirait parfois du mercure) rapprochent de quelque évangile. Il serait écrit par « le pauvre-fou amnésique poursuivi par le philosophe-à-la-mandragore » (fragment 4). Celui-ci aurait lu les authentiques (canoniques) évangiles et (plutôt que d’en prendre l’exact contre-pied) les aurait défiés.
Une première explication (si besoin) serait celle-ci : « Je me suis aperçu que je ne me rappelais qu’une scène de la pièce. Je la récitai très vite de mémoire, pour essayer de me souvenir du reste ; quand j’eus fini, je compris que j’avais tout oublié, la fin de la pièce et l’ordre que j’avais reçu de la réécrire tout entière » (fragment 46).
Une deuxième (et compatible) explication serait celle-là : « Mardi : / Un enfant d’une dizaine d’années qui tenait à la main un moulinet en papier m’a parlé dans cette langue inconnue et je lui ai répondu de même. Je ne comprends ni ses questions ni mes “réponses” et pourtant nous avons bavardé quelques minutes » (fragment 43). Ce qui (le vendredi, « Molkerte’ ’ ») se termine ainsi : « Vadonserve ent llica mossoreglas teiner milu artem lo tersijilomen gualen saipe sy oy on prencomder ’ ’ »…
Je crois qu’Arrabal rêverait que ses lecteurs lui ressemblassent.


P.S. – Puisque nous vivons une époque où tout se note : j’ai hésité entre 7/10 et 9/10. J’ai mis 7. J’aurais pu mettre 8, du coup, mais non, c’était l’un ou l’autre. Chose étrange, non ?

Alcofribas
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le 28 janv. 2019

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