Le livre de Thomas Lepeltier est un petit livre (seulement 169 pages) mais est un livre remarquable justement de par l'esprit synthétique de son auteur qui écrit dans un style agréable, clair et concis. Il comprend 4 chapitres:
I. Ces bêtes qu'on abat
2. Tuer humainement!
3. L'animal est une personne
4. La litanie des excuses
Les deux premiers chapitres reprennent des infos disponibles par ailleurs sur l'industrie de la viande et les abattoirs (ces derniers temps, on ne manque pas, en effet, de livres sur ce thème, ce qui est un bon signe montrant le réveil des consciences humaines dans le domaine de l'éthique animale, je citerai parmi tant d'autres Bidoche de Nicolino, No Steak de Caron et l'excellent Faut-il manger les animaux? de Safran Foer). L'auteur fait la même remarque à la page 11.
Le troisième chapitre pose les bases philosophiques et éthiques de la révolution végétarienne.
Le quatrième, succulent (j'ai beaucoup aimé), répond aux fausses objections de ceux qui tiennent à tout prix à continuer de manger de la viande et du poisson.
Entrons maintenant un peu plus dans le détail en citant quelques passages du livre chapitre par chapitre.
Du prologue je retiendrai essentiellement la citation de Claude Lévi-Strauss mise en exergue par l'auteur:
Un jour viendra où l'idée que pour se nourrir, les hommes du passé élevaient et massacraient des êtres vivants et exposaient complaisamment leur chair en lambeaux dans des vitrines, inspirera sans doute la même répulsion qu'aux voyageurs du XVII° et du XVIII° siècle les repas cannibales des sauvages américains, océaniens ou africains (p.9).
La révolution végétarienne est aussi irréversible que le fut celle en faveur de l'abolition de l'esclavage au XIX° siècle. A cette époque abolir l'esclavage semblait une utopie, et pourtant l'esclavage fut finalement aboli. Ce n'est donc qu'une question de temps.
Chapitre I. Ces bêtes qu'on abat
Le titre du chapitre est un hommage au livre de Jean-Luc Daub portant le même titre et publié en 2009. Dans son livre J.L. Daub rend compte de son expérience en tant que visiteur dans les abattoirs de France entre 1993 et 2008, révélant bien avant les vidéos chocs de L214 que la législation n'est la plupart du temps pas appliquée dans les abattoirs et que les services de "contrôle" du ministère de l'agriculture ne font pas leur boulot ou sont complaisants envers les enfreintes aux lois concernant le "bien-être animal". On lira avec intérêt sur ce même thème le livre de Pierre Hinard, Omerta sur la viande (2014) dans lequel cet inspecteur vétérinaire zélé montre comment il a été viré de l'abattoir dans lequel il travaillait simplement parce qu'il faisait sérieusement son boulot... Dormons en paix et mangeons notre steak, l'Etat veille sur notre sécurité... et surtout sur la prospérité des industriels du secteur!
Le premier chapitre aborde les conditions épouvantables de l'élevage des animaux de rente dans un contexte industriel: des lapins massacrés, la triste vie des truies, le confinement des poules, le calvaire des canards, des vaches qui ne rient pas, les rituels de la mort (sur le fait que pour des raisons religieuses certains animaux ne sont pas étourdis comme le demande la loi avant la mise à mort), l'agonie des poissons (qui sont souvent les grands oubliés de la cause animale et pourtant l'industrie de la pêche est aussi horrible que celle de la viande pour les animaux marins, et même davantage en termes de "carnage" d'après l'auteur, p.45), le spectre de la Shoah (un thème de réflexion qui a été particulièrement mis en valeur par Charles Patterson dans son livre Un éternel Treblinka. Des abattoirs aux camps de la mort (2002). L'élevage industriel ainsi que les abattoirs relèvent en effet de la même logique concentrationnaire dans laquelle la technique et la génétique sont mises au service d'une culture de destruction et de mort.
Chapitre 2. Tuer humainement!
Il y a bien ici et là quelques lois nationales ou quelques directives européennes qui tentent d'améliorer les conditions de "vie" des animaux d'élevage ainsi que leur mise à mort dans les abattoirs... Mais force est de constater que bien-être animal et productivisme forcené (lié à la surconsommation de viande et à la recherche du prix le plus bas chez les consommateurs) sont des réalités irréconciliables:
A chaque étape de la filière, la logique de rentabilité va à l'encontre du bien-être des bêtes. Aussi radicales que soient les réformes, impossible d'échapper à la conclusion que les animaux continueront à terriblement souffrir dans un système qui reste productiviste (p. 67).
Et pour être complet il faudrait signaler aussi la souffrance des éleveurs et des employés d'abattoirs due au même système productiviste: toujours plus, plus vite et moins cher... Même si c'est pour au final gaspiller des quantités normes de nourriture finissants dans les poubelles et les décharges publiques...
Mais alors ne peut-on pas se tourner vers l'élevage traditionnel, vers les petits éleveurs qui font du "bio"? Cet élevage apporte sans aucun doute aux animaux des conditions de vie plus normales et plus confortables, mais malheureusement leur fin rejoint celle des autres animaux élevés de manière industrielle:
La vache, le cochon et la poule qui ont été élevés dans des conditions "champêtres" vont donc très souvent subir, comme les animaux d'élevage industriel, une fin de vie horrible (p.72).
L'auteur fait remarquer que l'élevage traditionnel est incompatible avec la surconsommation de viande actuelle. Il implique donc une forte diminution de la consommation de viande pour être viable:
Toute promotion de l'élevage traditionnel, qui ne s'accompagne pas d'une invitation à diminuer considérablement sa consommation de produits d'origine animale, revient à encourager le développement d'une approche industrielle de l'élevage (p. 77).
Chapitre 3. L'animal est une personne
En exergue une citation d'Alain:
Il n'est point permis de supposer l'esprit dans les bêtes... Tout l'ordre serait aussitôt menacé si l'on laissait croire que le petit veau aime sa mère, ou qu'il craint la mort, ou seulement qu'il voit l'homme. L’œil animal n'est pas un œil. L’œil esclave non plus n'est pas un œil, et le tyran n'aime pas le voir (p.85).
Une autre citation de Lamartine (1837):
Tu ne lèveras point la main contre ton frère, et tu ne verseras aucun sang sur la terre. Ni celui des humains, ni celui des troupeaux, ni celui des poissons, ni celui des oiseaux. Un cri sourd dans ton cœur défend de le répandre (p.101).
Dans ce chapitre, l'auteur fait un bref historique de l'éthique animale en passant par l'étape des sociétés de protection animale jusqu'aux grands théoriciens de cette même éthique (Singer, Regan).
Chapitre 4. La litanie des excuses
Si l'on sait tout ce qui est décrit dans les deux premiers chapitres (les horreurs de l'industrie de la viande et de la pêche, les abattoirs etc) et que l'on reconnaît qu'un animal est un être capable de souffrance, alors comment justifier sa consommation de produits d'origine animale? L'auteur dresse dans ce délicieux chapitre une liste des arguments en faveur de la consommation de viande et de poissons, comme ces arguments ne tiennent pas la route, il préfère les appeler "excuses":
Il démonte bien sûr toutes ces excuses et accule ceux qu'il nomme "carnistes" au pied du mur...
Les animaux ne souffrent pas
La nature est cruelle
Les végétaliens doivent prendre des suppléments
L'alimentation carnée est culturelle et naturelle
Il vaut mieux vivre pour être mangé que ne pas vivre
Le cri de la carotte (et de la souris)
A trop humaniser l'animal, on déshumanise l'être humain
Pourquoi le fait d'accorder davantage de droits à une catégorie d'être vivants en ferait-elle perdre à d'autres? (p.152).
Il y a plus important que de s'occuper des animaux
L'idée qu'il faudrait choisir entre l'attention portée aux animaux et le souci envers les humains est étrange. Le poète Alphonse de Lamartine s'en était déjà moqué quand il écrivait: "On n'a pas deux cœurs, l'un pour l'homme, l'autre pour l'animal. On a du cœur ou on n'en a pas" (p.154).
C'est trop bon!
Une dernière citation mise en exergue dans l'épilogue (Les révolutions morales):
La vraie bonté de l'homme ne peut se manifester en toute liberté et en toute pureté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau tel qu'il échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci: les animaux. Et c'est ici que s'est produite la plus grande déroute de l'homme, débâcle fondamentale dont toutes les autres découlent (Milan Kundera, p. 161).