Les Pensées de Blaise Pascal sont à mes yeux l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de la littérature non seulement française mais mondiale. Sur la forme: l'écriture de Pascal est d'une beauté fascinante, souvent proche du style des aphorismes ou des Proverbes de l'Ancien Testament; sur le fond: j'ai rarement lu une synthèse de la pensée chrétienne aussi brillante et aussi convaincante (il s'agit d'un projet d'apologie de la religion chrétienne s'adressant en priorité aux "libertins", c'est-à-dire à cette catégorie d'hommes totalement indifférents aux questions métaphysiques et religieuses, comme celle de savoir s'il y a une vie après la mort, si notre âme est immortelle etc.). Pour moi le secret du génie pascalien réside dans la conjonction suivante: ET. Contre tous les idéologues, les philosophes de salon et les philosophes de métier issus de l'université (cf. Kant, Hegel etc), Pascal est convaincu, à partir du profond regard qu'il jette sur le drame de notre condition humaine et sur le "monstre incompréhensible" que représente la nature humaine, sans oublier son expérience personnelle, que la vérité se trouve toujours au milieu, entre deux extrêmes, reprenant en le généralisant à toute sa philosophie le célèbre adage de théologie morale In medio stat virtus (la vertu se tient au milieu. Par exemple dans notre rapport à l'argent il faut fuir autant l'avarice que son contraire qui consiste à dépenser sans réflexion son argent). Les idéologues et les philosophes d'université raisonnent souvent par opposition et exclusive, ce sont les penseurs du OU. Le génie de Pascal consiste à percevoir très clairement que la vérité se situe sur une ligne de crête, et qu'elle est donc de l'ordre de la synthèse plutôt que de celui de l'exclusive, la vérité est inclusive. Sa grande thèse anthropologique, bien connu de tous, se résume en cette formule: misère ET grandeur de l'homme. Les deux en même temps, et non pas l'un ou l'autre aspect qui, pris de manière isolée, deviennent faux! Pascal en s'inspirant de la théologie chrétienne (en particulier du péché originel) rend compte de la complexité de la nature humaine. Et pour rendre compte de cette complexité, et bien vivre en fonction de la sagesse ainsi acquise, il faut prendre en considération tous les aspects de l'homme, tel qu'il est et non pas tel que le philosophe le construit dans son bureau. Pascal est profondément réaliste, c'est pour cela que sa puissante et belle pensée revêt un aspect tragique et existentiel. Il veut d'abord toucher le cœur, avant de convaincre la raison. Sa pensée du "ET", il la tire de la théologie chrétienne qui pour contrer les hérésies a toujours utilisé le même procédé inclusif: par exemple Jésus-Christ est vrai Dieu ET vrai homme, notre salut dépend de notre foi ET de nos actes, la liberté humaine ET la grâce divine etc. Au balancement de la pensée saisie dans des formules admirables répond l'équilibre vivant et réaliste de cette même pensée, comme en témoignent des formules de ce type:
« Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Et il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre, mais il est très avantageux de lui représenter l’un et l’autre. » (Pensée 153)
Loin de moi l'idée de vouloir enfermer la pensée d'un tel génie dans un tableau! Le tableau que je propose ici a uniquement pour objectif de montrer la grande cohérence et clarté de cette pensée du "ET" dans quatre grands domaines thématiques des Pensées. C'est un instrument de travail pour aller plus loin, une fois que l'on a saisi le secret du génie pascalien, sa manière d'appréhender tout le réel.
« Le seul humaniste digne de ce beau nom ; le seul qui ne renie rien de l’homme ; il traverse tout l’homme pour atteindre Dieu ». François Mauriac
Malheureusement le copié-collé détruit mon tableau, je vais donc essayer de vous le partager par un lien.
Voici le lien, en espérant qu'il fonctionnera!
Tableau
Enfin je recommande la lecture de la très belle pièce de théâtre de Jean-Claude Brisville, L’entretien de M. Descartes avec M. Pascal le jeune (Descartes que Pascal qualifiait d'inutile et d'incertain).