Lisible comme un roman de six chapitres indépendants, ou comme un recueil de six nouvelles en écho – chaque nouvelle appelant les deux qui l’entourent –, Lala pipo semble souffrir de cette structure : elle engendre pas mal de redites et de progressions pataudes. Peut-être le livre aurait-il gagné à être plus court.
Un passage (p. 81 de l’édition Wombat) le résume : « La fille lui factura un supplément pour l’avoir prise en levrette. / Décidément, pas un seul être de bonne volonté n’existait dans ce monde-là. » Pendant près de trois cents pages, on trouve donc du cul, du fric, des pauvres types et de l’humour noir – un humour qui serait moins inoffensif s’il était moins systématique et moins blasé.
Cela dit, l’humour potache peut aussi avoir du bon. Certaines remarques du narrateur pourraient sortir de la bouche d’un oncle bourré racontant une histoire grivoise à la fin d’un repas de famille, rien n’interdit pour autant de les trouver drôles : « Alors qu’il s’était fait vider trois fois de suite l’après-midi par la vieille, il bandait super bien. C’était comme se rincer la bouche avec un verre d’alcool après avoir trop mangé, c’est le cas de le dire » (p. 91). Précisons pour situer le contexte qu’il est ici question d’un apprenti proxénète qui a passé l’après-midi aux prises avec une nymphomane obèse…
Lala pipo a un autre mérite : proposer un jeu permanent sur les points de vue, ce qui permet l’émergence d’un certain regard. Par exemple, c’est clairement le narrateur qui dit d’un personnage qu’« il ne lisait que des recueils de nouvelles et des essais pas trop exigeants » (p. 14). Mais avec la phrase suivante, « Pour se plonger dans un roman, il fallait quand même se sentir un minimum stable moralement, et ce n’était pas son cas », est-on déjà dans les pensées du personnage ou toujours dans les idées du narrateur ? Et pourquoi pas les deux ? Le procédé est récurrent dans le livre et fait partie de son charme.
Quant au regard porté sur les personnages, tout cruel qu’il soit, il n’est jamais agressif, ne s’apparente jamais à la condescendance avec laquelle un leader envisagera un dernier de cordée, car l’utilisation du premier degré vient régulièrement contrebalancer les sarcasmes récurrents, s’assurant ainsi de l’humanité de ce ballet de losers. « Pour elle [Sayuri], une vie humaine ne valait pas davantage qu’un six-milliardième de l’ensemble. Ce qui relativisait bien les choses, quand elle y repensait » (p. 241).