Last & Lost - Atlas d'une Europe fantôme par MarianneL
«Il ne s’agit pas de découvrir un secret ou quelque chose qui serait encore ignoré, mais plutôt de faire une nouvelle lecture de l’histoire sédimentée dans cette friche ; il s’agit de l’émancipation du regard, de la délivrance du préfabriqué. Ou de son impossibilité.»
Ceci résume bien «Last & Lost, Atlas d’une Europe fantôme», exploration en quinze textes de ces lieux qui s’étiolent, aux franges de l’Europe ou bien tout près de nous, et ponctués de photographies qui leur répondent.
Confins géographiques, aux bords de l’Europe, vestiges des dictatures ou de la terreur nazie, jungle postindustrielle, échec de la construction d’une cité utopique, avancée de la nature qui repousse les hommes, ces textes sont tous empreints d’une nostalgie subtile ou profonde, mais aussi de cette volonté de regarder autrement.
Au-delà du témoignage, du retour nostalgique, certains récits sont aussi des pépites romanesques, et notamment «Une ville derrière les barbelés» de Svetlana Vasilenko. La narratrice retourne dans sa ville natale de Kapoustine Iar, pour y filmer un documentaire sur son enfance. Même prononcer le nom de cette ville était chose interdite du temps de l’Union soviétique, car elle était alors champ de tir nucléaire et d’expérimentation de nouveaux missiles. Le tournage du film sous surveillance militaire entraîne une plongée fantastique dans un passé enfoui, depuis les légendes de la mythologie mongole jusqu’aux tensions extrêmes du temps de la guerre froide.
Nombre de ces textes ont une teinte poétique envoûtante, née du lien entre le présent et un passé érodé, tel « Ada Kaleh, Ada Kaleh… » du roumain Mircea Cartarescu : L’île d’Ada Kaleh sur le fleuve Danube, habitée par les turcs qui y confectionnaient des douceurs sucrées, était le motif d’un tableau que le narrateur avait dans sa chambre d’enfant. Cette île fut engloutie en 1970 par le régime Roumain pour la construction d’une centrale hydro-électrique.
«Un très ancien mythe valaque parle de Manole, le maître maçon qui a souhaité construire le plus grand monastère du monde. Mais tout ce qu’il élevait le jour s’écroulait la nuit. Il m’arrive de penser que c’est à dessein qu’il n’élevait que des ruines, comme à Héliopolis, à Teotihuacán, à Pompéi, à Rome et partout sur la surface de cette tragique terre, comme un memento mori de la tragique ruine cosmique sur laquelle nous vivons.»
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