Par épisodes
Pourquoi crée-t-on des fictions policières quand la réalité propose des hommes comme Frédéric Bourdin ? L’enquête de David Grann pose implicitement la question. Pourquoi lire / écrire le Caméléon...
Par
le 31 juil. 2018
Paru initialement dans le New Yorker en 2008, ce court essai sous-titré en anglais «The Many Lives of Frédéric Bourdin», traduit en 2009 par Claire Debru pour les éditions Allia n’a pas besoin d’embellissement littéraire, tant la figure de Frédéric Bourdin dont David Grann retrace ici l’histoire est vertigineusement romanesque, évoquant la figure de Jean-Claude Romand dont Emmanuel Carrère s’était emparé dans «L’Adversaire».
Affabulateur d’une grande intelligence, doué d’une mémoire et d’un sens de l’observation exceptionnels, celui qu’on a surnommé le caméléon usurpe pendant des années des dizaines d’identités d’enfants ou d’adolescents, est accueilli dans des foyers ou des orphelinats, et cet homme français, aux cheveux châtains et aux yeux sombres réussit même à se faire passer pendant plusieurs mois pour le fils disparu d’une famille du Texas, Nicholas Barclays, un jeune homme blond aux yeux bleus dont sa famille est sans nouvelles depuis trois ans.
«Au fil des années, Bourdin était parvenu à s’introduire dans des refuges pour jeunes, des orphelinats, des foyers d’accueil, des lycées et des hôpitaux pour enfants. Son champ d’action couvrait, entre autres, l’Espagne, l’Allemagne, la Belgique, l’Angleterre, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, la Suisse, la Bosnie, le Portugal, l’Autriche, la Slovaquie, la France, la Suède, le Danemark et l’Amérique. Le U.S. State Department a publié une mise en garde à son sujet, le qualifiant d’individu « excessivement malin » qui prend le visage d’un enfant désespéré dans le but de « gagner la sympathie », et un procureur français a parlé de lui comme d’un « incroyable illusionniste dont la perversité n’a d’égale que l’intelligence « . Bourdin lui-même a dit : « Je suis un manipulateur… Mon métier, c’est la manipulation.»
Passé maître dans l’art du déguisement et de la manipulation, les escroqueries de Frédéric Bourdin n’ont pas de visées financières ou pédophiles mais ne sont «que» l’expression des profondes névroses de cet homme en mal d’amour, et qui finit par se sentir piégé dans sa propre imposture américaine, dans ce fait divers digne d’un grand thriller.
«À mesure qu’il endossait d’innombrables identités, Bourdin s’efforçait aussi d’éliminer la vraie. Un jour, le maire de Mouchamps reçut un appel de la police allemande qui l’avertit que le corps de Bourdin avait été retrouvé à Munich. «Mon cœur s’est arrêté», dit la mère de Bourdin en se rappelant l’instant où elle apprit la nouvelle. Les membres de la famille attendirent l’arrivée du cercueil, mais rien ne vint.»
«Le caméléon» est l’essai fascinant d’un journaliste qui trouve dans les destins et les obsessions énigmatiques, avec ses enquêtes minutieuses et les doutes qu’il y laisse planer, la matière et l’épaisseur des meilleurs livres de fiction.
Un documentaire sur l’étrange trajectoire de Frédéric Bourdin a été réalisé par Bart Layton sous le titre «The Imposter».
Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/10/09/note-de-lecture-le-cameleon-david-grann/
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
le 9 oct. 2015
Critique lue 234 fois
2 j'aime
D'autres avis sur Le Caméléon
Pourquoi crée-t-on des fictions policières quand la réalité propose des hommes comme Frédéric Bourdin ? L’enquête de David Grann pose implicitement la question. Pourquoi lire / écrire le Caméléon...
Par
le 31 juil. 2018
Du même critique
Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...
Par
le 29 déc. 2013
36 j'aime
4
«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...
Par
le 7 déc. 2013
35 j'aime
«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...
Par
le 24 mai 2013
32 j'aime
4