Il était une fois un petit royaume dont nous ne connaîtrons jamais le nom. Sa capitale, où trône le roi en son beau palais, est en bord de mer et tournée vers l’orient (le soleil se lève sur l’onde salée – configuration inédite de la part d’un écrivain portugais dont le regard pointe vers le couchant). Le palais est immense et possède comme on s’en doute de nombreuses portes. A chaque porte sa fonction : la porte des requêtes où le roi ne se rend jamais, la porte des offrandes où le monarque se tient en permanence afin de recevoir à bras ouverts les cadeaux qu’on lui présente obséquieusement, la porte des décisions qui sert à l’occasion…
Et c’est justement à la porte des requêtes qu’un homme frappe tout à coup. Il frappe tant qu’il peut, mais personne n’est là pour ouvrir. Quand ses sujets commencent à se plaindre du bruit et du peu d’attention que leur roi leur porte, le souverain envoie le premier conseiller voir ce que veut le requérant. Le premier conseiller transmet l’ordre au second conseiller qui transmet à son tour au troisième. Quand l’ordre est parvenu au bas de l’échelle, la servante qui ne peut déléguer à personne ouvre la porte et demande à l’homme la raison de tout ce foin : « Je veux un bateau » répond-t-il. Et la réponse de faire tout le trajet inverse jusqu’à l’oreille royale.
L’insistance du requérant est telle que, de fort mauvaise humeur, le roi est contraint de se déplacer pour s’entretenir en personne avec celui-ci. On discute le bout de gras et le bateau est finalement accordé : l’homme désire partir à la recherche d’une île encore inconnue. Le monarque a eu beau lui affirmer qu’il n’en existait plus depuis belle lurette, rien n’y fit.
Alors que l’homme satisfait dans sa requête s’éloigne vers le port, la servante qui a passé sa vie à balayer les coursives du château, balaya la rue du regard en se disant qu’elle irait bien se faire engager par le nouvel armateur pour désormais balayer le pont du navire…
Un livre trouvé au gré de mes pérégrinations sur la toile. Pas tout à fait par hasard, mais presque. Un petit livre disponible au rayon littérature adolescente. Je ne savais pas que Saramago avait écrit des livres à destination de la jeunesse. Ma curiosité piquée au vif, je me suis donc jeté dessus « pour voir ».
Et bien j’ai vu ! Et ce, dès la première page. J’ai immédiatement retrouvé la verve de cet extraordinaire écrivain que j’aime tant. Son style efficace habituel, ses dialogues inclus dans la prose, son humour fortement teinté d’ironie et d’irrévérence. Un texte savoureux, absolument délicieux et au vocabulaire aussi précis que riche. Puissent nos chères têtes blondes ne lire que des livres d’une telle qualité.
Evidemment, c’est un livre pour enfants. Le dernier tiers et la conclusion sont un peu plus naïve que dans les livres « plus sérieux » de l’auteur. Plus simple, mais aucunement simpliste. La poésie du texte est des plus agréables. Quant à la métaphore de l’île inconnue, elle risque de ne pas être comprise des plus jeunes.
Très belle lecture avalée en 30 ou 45 minutes.
Et pourquoi veux-tu donc un bateau, peut-on le savoir, tel fut en
effet ce que le roi lui demanda quand il se considéra suffisamment
bien installé sur la chaise de la servante, Pour me lancer à la
recherche de l'île inconnue, répondit l'homme, Quelle île inconnue,
demanda le roi en déguisant son rire, comme s'il avait devant lui un
fou délirant, un de ces fous qui ont la marotte de la navigation et
qu'il ne faut surtout pas contrarier dès l'abord, L'île inconnue,
répéta l'homme, Sottise, il n'y a plus d'îles inconnues, Elles sont
toutes sur les cartes, Et quelle est donc cette île inconnue que tu
cherches, Si je pouvais te le dire, elle ne serait plus inconnue, Qui
t'en a parlé, demanda le roi, à présent plus sérieux, Personne, Dans
ce cas, pourquoi t'obstines-tu à dire qu'elle existe, Simplement parce
qu'il est impossible que n'existe pas une île inconnue...