Le premier contact avec Le Cueilleur des Mémoires est assez déroutant. Le roman croise plusieurs genres, l’auteur invente des personnages, des histoires, s’appuie sur ses connaissances historiques et chamaniques. Comme on ne trouvera pas non plus une intrigue très déterminée, il faut prendre le temps de se plonger dans cet univers composé de réel de d’imaginaire pour apprécier la lecture et notamment s’habituer aux nombreux sous-entendus de Charles Bottin qui ne rendent pas toujours les actions décrites évidentes. Au début, j’ai craint de passer un moment assez pénible. Mais, soit parce que l’écriture s’affirme, soit parce qu’on s’habitue à suivre les héros, j’ai fini par me laisser aller et apprécier le voyage.
Il n’est pas nécessaire d’être particulièrement féru de culture celtique pour apprécier la lecture, cependant, un minimum de repères permettra de mieux appréhender le travail de l’auteur, en démêlant la part d’interprétation, d’invention et de réalité. Les connaissances sur la religion des celtes, par exemple, ont été complétées par des rites chamaniques. Si ce côté très spirituel peut déstabiliser, il montre cependant des pratiques peu connues et permet d’adopter un point de vue assez neuf en donnant un caractère moins naïf à des traditions souvent méprisées par les textes romains. Si les rituels ne sont pas certains, les symboles et légendes auxquels se réfèrent les personnages, leur organisation, est cependant respectée. On pourra d’ailleurs apprécier les explications et les récits rapportés par les anciens, qui permettent aux non-initiés de mieux se familiariser avec les références du peuple, et aux autres d’apprécier un matériaux assez solide.
Au final, Le Cueilleur de mémoires est un livre immersif, qui invite à découvrir un peuple comme s’il était tiré de l’imaginaire de l’auteur, avant de nous amener de plus en plus dans la réalité historique, à travers l’apparition de noms bien connus, la mise en place d’une situation politique de plus en plus complexe qui va progressivement rappeler les épisodes de La Guerre des gaules. Pour avoir lu le livre de César il y a plusieurs années, mes souvenirs étaient assez lointains, et j’ai trouvé agréable de pouvoir les reconstruire du point de vue des éburons. Le suspens est bien sûr limité, puisque l’on sait dès le départ comment les choses vont se terminer : les romains vont l’emporter et forcer tous les peuples à abandonner leur culture. Mais c’est justement le principe de se retrouver pendant plus de 300 pages au contact d’un peuple voué au déclin qui est intéressant. A l’heure où l’on parle beaucoup de la notion de remplacement de population, Le Cueilleur de mémoires est un livre aussi actuel qu’inquiétant. Et, finalement, tout en nous rappelant une histoire à moitié oubliée, on ne peut le fermer sans avoir quelques réflexions sur notre rapport à notre époque, notre monde. Le parti pris permet, pour une fois, de rappeler avec quelle violence les romains ont détruit tout un univers. On nous le répète si bien depuis l’école primaire, que ce chapitre de l’Histoire est froidement relativisé. Pourtant, la finalité du roman est très dure, surtout lorsque l’on sait aujourd’hui les difficultés des archéologues et historiens pour rassembler des sources solides autour du peuple celte et, pis encore, germain.
A noter également que le livre permet de nous montrer le parcours d’un jeune homme qui deviendra un véritable héros pour son peuple et pour les belges, à l’instar de Vercingétorix pour les français. Je n’en dis pas plus parce que, à cause de mon souvenir lointain de La Guerre des Gaules, j’ai compris la référence un peu sur le tard, ce qui a pu m’éviter quelques spoil. En tout cas, je n’oublierais désormais plus son nom, et j’ai bien apprécié l’hommage ainsi que tous les autres.
Si vous voulez changer vos préjugés sur les celtes, Le Cueilleur des mémoires est une bonne lecture, avec La Guerre des Gaules à côté, que l’on pourra lire avant ou après pour faire le parallèle et recouper les sources. Et pour se faire une meilleure idée des croyances développées dans le livre, Les Mabinogon seront aussi un bon repère. D’ailleurs, le deuxième volume de Charles Bottin, La beauté de l’imperfection, se déroule dans l’une des terres où les légendes ont le mieux survécu, en Irlande.
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