Mazo de la Roche achève ce douzième tome de sa saga familiale "Jalna" en 1941. A ce moment-là, je la soupçonne de ne pas encore pourvoir prédire s'il sera suivi d'un treizième tome ou non. Un numéro 13, c'est quitte ou double, ça porte chance ou malheur, et en temps de guerre, ce doute prend une dimension dramatique particulière.
Le dénouement du "Destin de Wakefield" apparaît comme une page qu'on tourne, ensevelissant une génération, et laissant vierge une nouvelle page pour une nouvelle génération de Whiteoak.
Quant à ce numéro 12, ce qui me frappe le plus, c'est que l'auteure a écrit un récit "dans l'air du temps" car en 1941, la Seconde Guerre mondiale, c'était pour elle la vivante actualité. Un peu comme si aujourd'hui, en mars 2020, un romancier écrivait un roman traitant d'une pandémie internationale... En 1941, Mazo de la Roche ne connaît pas les suites et l'issue du conflit. Elle suspend sa plume et sa saga faute de pouvoir avancer puisqu'elle a situé ses personnages en temps réel. Pour le lecteur, avec près d'une demi-douzaine de personnages masculins ayant rejoint l'armée, le suspense et l'angoisse se font intenses.
Mais n'allez pas croire que ce tome ne traite que de la guerre, loin de là ; il se concentre principalement sur les frères Finch et Wakefield, respectivement pianiste et comédien vivant à Londres et dépensant avec insouciance les derniers mois d'un monde condamné à être englouti par la violence et qui ne se relèvera jamais de ses traumatismes. Amour, amitié, passion, secret de famille et encore bien d'autres thèmes peuplent ce tome palpitant.
J'ai essayé de me mettre à la place d'un lecteur de 1941 qui pensait légitimement arriver au terme du voyage "Jalna" et... j'ai été heureuse d'être une lectrice de 2020 avec encore devant moi quatre tomes à dévorer.