Le Fils est le premier roman de Michel Rostain, un metteur en scènes d'opéra qui a dirigé la Scène Nationale de Quimper de 1995 à 2008. C'est pendant cette période qu'il a perdu son fils âgé d'une vingtaine d'années, expérience à l'origine de ce roman sur le deuil des parents face à la disparition de leur enfant adulte.
"Le onzième jour après ma mort, Papa est allé porter ma couette à la teinturerie. Monter la rue du Couédic, les bras chargés de ma literie, le nez dedans. Il se dit qu'il renifle mon odeur. En fait, ça pue, je ne les avais jamais fait laver ces draps ni cette couette. Ça ne le choque plus. Au contraire : subsiste encore quelque chose de moi dans les replis blancs qu'il porte à la teinturerie comme on porterait le saint sacrement. Papa pleure le nez dans le coton. Il profite. Il sniffe encore un coup la couette, et il pousse enfin la porte du magasin.
Papa ne peut plus traîner. Condoléances, etc. Le teinturier – re-condoléances, etc. – débarrasse papa de la couette. Papa aurait voulu que ça dure, une file d'attente, une livraison, une tempête, juste que ça dure le temps de respirer encore un peu plus des bribes de mon odeur. Papa se dépouille, il perd, il perd."
Cet extrait, en quatrième de couverture, résume bien le style et le ton de l'ensemble du roman : c'est tendre, émouvant et plein de détails du quotidien qui apportent du « réel »au récit et montrent à quel point ce roman est auto-biographique. Auto-biographique pour l'auteur, car le narrateur a la particularité d'être mort : Michel Rostain a en effet fait le choix – dangereux mais réussi ici – de faire parler le fils décédé. C'est le même procédé que celui qu'avait utilisé Philippe Besson dans Un garçon d'Italie, mais l'effet ici m'a beaucoup plus convaincu.
Au fil des cent soixante-dix pages du roman, Michel Rostain nous raconte les derniers jours du fils, ses dernières heures, et les mois de deuil qui ont suivi l'événement tragique. Difficile de ne pas être touché par ce récit simple et plein de tendresse. La vraie réussite de ce roman, c'est son sens de la nuance : le texte est en effet réaliste et poignant sans être oppressant. Il finit même sur une note optimiste, presque d'enthousiasme, comme pour donner raison aux paroles maintes répétées par le père : « Vive la vie ! ».
« Vive la vie ! » résume d'ailleurs parfaitement ce roman, qui constitue un très beau témoignage sur la vie de deux parents frappés par le drame et qui continuent à vivre, car « on peut vivre avec ça ».