Toutes les belles choses du monde sont des mensonges

Le roman entier est une chanson, entonnée par un adolescent qui essaie en vain de fuir un réel violent, âpre, impitoyable.

La fiction est un mensonge, on le sait, convenu entre l’auteur et le lecteur. Les codes sont connus et acceptés. Mais ici, nous avons affaire à un narrateur qui se ment à lui-même continuellement, car il n’a pas d’autre choix. Il est tout à fait lucide sur la vie misérable qui l’entoure, et il essaie comme il peut de la détourner.

Pourtant le cycle est implacable : le vernis des histoires qu’il essaie de se raconter se craquèle sans arrêt, et quand il est poussé à bout, Francie Brady régurgite toute la haine qu’il a reçue.

La narration est donc un « stream of consciousness » un peu particulier, où l’on ne passe pas d’une voix narrative à une autre (comme cela peut être le cas chez Joyce ou Woolf), mais où l’on est balloté par les fantaisies de Francie. On est dans de l’écrit-parlé, qui gagnerait je pense à être lu en VO. La traduction fait cependant bien son travail et essaie de rendre la richesse du patois et l’humour.

Car oui, il y en a tout de même : les surnoms donnés par Francie (Saucisse, Minus, Bubulle, etc), les réparties dans les dialogues, la caractérisation de certains personnages dont le narrateur se moque allègrement.

Certaines scènes sont extrêmement poignantes,

à commencer par la mort de ses deux parents, qui est à chaque fois évoquée de façon détournée, éléments trop difficiles à accepter pour Francie. La mère à travers la chanson du « Garçon boucher », le père avec la scène hallucinatoire du faux noël.

Au fil du roman, tous les masques tombent :

sa mère est dépressive, son père a toujours été une brute, ceux qui se présentent comme des médecins sont des gardiens de prison, les curés sont des violeurs, Joe n’est pas son ami car ils n’appartiennent pas à la même classe sociale.

C’est un point extrêmement important du récit, le point de départ : la violence de classe, celle que Mme Nugent assène brutalement : vous êtes des cochons. C’est la première couche de vernis qui saute. D’ailleurs, le jeu principal de Francie et de Joe, celui qui les rassemble quand ils sont enfants, est d’essayer de briser une couche de glace avec un bâton pour atteindre les poissons dessous. Le problème, c’est que quand la glace se brise, il nous faut ensuite plonger dans l’eau …

Roman déroutant, fascinant, offert par un ami Irlandais me le décrivant comme un des plus grands romans de la littérature irlandaise moderne. Et ça, ce n’était pas un mensonge.

Gooule
9
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le 13 août 2024

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