Olivier Bérenval est un habitué du space-opera francophone. Son roman Nemrod l'avait fait connaître, et ce roman se déroule dans le même univers que le titre susmentionné. C'est pour ma part mon premier contact avec cet auteur.
Le récit débute sans préambule avec la sortie de stase cryogénique d'un janissaire, qu'on comprend rapidement être un agent spécial de la Communauté (le nom donné à l'imperium galactique humain), envoyé sur Khataï, une planète perdue et de peu d'intérêt, tant stratégique qu'économique, pour y enquêter sur la mort d'un représentant important de la Communauté.
À charge pour lui de découvrir les coupables, et surtout, de déterminer si des factions séditieuses sont en passe de tenter un soulèvement ou non sur Khataï.
Voilà pour la mise en place et le contexte.
La première excellente surprise de ce roman, c'est que la découverte et l'immersion dans l'univers de la Communauté se fait sans accrocs, alors même que le texte fourmille de néologismes propres à la Communauté. Une réussite à mettre au crédit de l'écriture d'Olivier Bérenval très fluide et claire, qui fait qu'il n'est nul besoin de sans cesse se référer au glossaire (pourtant présent en fin d'ouvrage) pour comprendre les néologismes en question. Ils sont assez transparents par eux-mêmes ou suffisamment bien mis en scène pour qu'on comprenne tout seul de quoi il retourne.
Ça n'a l'air de rien, mais c'est assez rare dans les space-opera pour être souligné.
Le personnage principal, le janissaire Kimsè, est un parfait soldat d'élite conscient de son statut et de ses capacités. Bien que froid en apparence et prenant un malin plaisir à jouer avec les nerfs de ses interlocuteurs, on le sent moins désincarné qu'il ne le laisse transparaître. Un personnage que j'ai trouvé très réussi, et plein de nuances.
Ce n'est cependant pas le seul narrateur, même si les autres sont clairement des narrateurs de seconde main, moins centraux dans le récit. Tous ont cependant droit à leur heure de gloire.
J'ai beaucoup aimé la transposition de la figure du janissaire dans ce contexte spatial. Rappelons pour mémoire que les janissaires étaient les soldats d'élite des armées ottomanes du 14e au 16e siècle, à l'époque où cet empire faisait trembler l'Europe. Il s'agissait d'enfants réduit en esclavage, islamisés et fanatisés pour servir les sultans ottomans. Cet idée d'arrachement est reprise ici de manière fort habile. Et je vais être obligé de spoiler...
Ici, l'arrachement est en réalité double. Car les janissaires quittent (pour toujours) leurs familles pour intégrer l'académie qui va les former à devenir l'élite de la Communauté. C'est du moins ce que croit Kimsè. Sauf qu'en réalité, on apprend un peu plus loin dans le roman ce qu'il en est vraiment.
Les Janissaires sont en réalités des criminels que l'on reconditionne à l'aide de faux souvenirs et que l'on garde cryogénisé dans les station orbitales planétaires en attendant d'en avoir besoin. Leur conditionnement inclut en outre un verrou mental qui leur masque cette réalité. Si d'aventure quelqu'un leur révélait leur vraie nature, ce conditionnement pousserait le janissaire à tuer l'imprudent.
Et ce que Kimsè prenait pour de la crainte révérencieuse quand les gens étaient mal à l'aise en sa présence s'avère juste être la peur de briser sans le faire exprès son conditionnement. Et c'est là que l'on a un double arrachement, avec en réalité des citoyens ôtés du corps social pour devenir de supers exécutants pour la Communauté. Une adaptation du concept de janissaire au fond...
Une idée que j'ai trouvé intéressante et bien exploitée dans le roman.
L'enquête sur le meurtre du dignitaire de la Communauté va se révéler (évidemment) plus compliquée que prévu, et réserver son lot de rebondissements et de surprises, mais comme de coutume, je ne vais pas m'étendre sur le récit.
J'ai trouvé ce texte très réussi, son l'univers cohérent et ses personnages très réussis. Impossible de totalement les détester (allez, sauf un je dirai !).
Un roman très bien mis en scène (et en mots). Une chouette découverte pour moi.