La plus grande victime d'une guerre est évidemment la vérité, d'autant plus quand il s'agit de la trop mystifiée et de la trop fantasmée Corée du Nord. L'opinion publique occidentale entretient depuis trop longtemps à propos de cette dictature des préjugés et des fausses idées qui se révèlent être très graves dans un contexte géopolitique tendu, mais qui est en réalité le fruit d'une propagande : la Corée du Nord serait un pays arriéré, moyenâgeux, belliqueux sans concession, à l'économie pauvre encore calquée sur le modèle soviétique version Staline, non-développé, peuplé d'imbéciles fanatiques de leur guide Kim Jong-Un, une patrie absolument fermée, qui cacherait au sein de ses frontières poreuses d'horribles famines, de terribles charniers, des services secrets diaboliques, des camps effroyables, un manque sordide d'éducation et finalement l'enfer absolu d'une vie sans joie en noir et blanc. La réalité est que cela est faux de bout en bout. Evidemment, personne n'osera nier que la Corée du Nord est une dictature, et assurément elle l'est, en mêlant à la fois communisme stalinien avec le "han" coréen traditionnel. Ainsi, ce pays fascinant connaît un mode de gouvernement tout à fait original qui mêle deux traditions : la monarchie et le marxisme-léninisme. Cependant, ce formidable livre permet de nuancer l'insupportable manichéisme américain, qui classe la Corée du Nord dans le camp du mal, et les Etats-Unis dans le camp du bien, en niant les responsabilités partagées, la vérité des conditions de vie et la complexité de la situation. A lire nos médias occidentaux, la géopolitique devrait se lire selon des schémas moraux tout à fait relatifs, à l'aune des poncifs des néoconservateurs américains républicains, qui estiment que décréter qu'un pays est "dans le camp du mal" permet de tenter de l'exterminer de la surface du Globe. Juliette Morillot et et Damien Malovic évitent cet écueil et signent un ouvrage objectif, chiffré et très travaillé qui permet de se faire une idée neutre de la réalité de la situation, et dont le but est de promouvoir la paix entre les deux pays. Parfois un peu "universitaire" sur les bords, le livre a le mérite d'être complet et absolument dénué de toute idéologie, préalable indispensable à l'examen du sujet.
Le livre permet de se faire une idée historique de la Corée, ce qui a une plutôt grande importance tant les enjeux de compréhension sont indéfectiblement liés à la perspective historique : la Corée a souvent été un conglomérat de Royaumes indépendants, sous protection chinoise, une protection qui existait en contrepartie d'un tribut versé par les Royaumes. Comme tous les pays asiatiques, à la fin du XIXème siècle, les puissances occidentales, quand elles ne pouvaient pas coloniser les pays qu'elles croisaient, faisaient commerce avec elles. Cependant, à l'instar de ce qui se passa au Japon et en Chine, les Occidentaux (Britanniques, Français, Russes, Américains, ...) forçaient les pays à commercer quand ils ne le souhaitaient pas, en envahissant les ports et en utilisant la violence. Ainsi, en Corée, un navire américain força le passage et fut détruit par les Coréens qui refusaient de commercer avec l'envahisseur. Cela promettait en effet pour la suite. Après, ce fut au tour du Japon d'annexer la Corée à son Empire, pendant soixante ans, et d'utiliser les Coréens comme esclaves. Finalement, après la Seconde Guerre Mondiale, la Corée fut scindée en deux par la guerre que l'on sait : les communistes (URSS, Chine, Corée du Nord) au nord, et les libéraux (Etats-Unis, Corée du Sud) au sud. Pendant cette guerre, les Américains exterminèrent au napalm 90% des villes coréennes, et une bonne partie de la population coréenne, ce que certains commentateurs oublient plutôt facilement. Le lecteur aurait tort de penser que depuis les deux Corée sont des ennemies irréconciliables, tant il y eut de nombreuses tentatives de rapprochement, voire de réunification, toujours avortées soit à cause de l'impérialisme américain, soit du conservatisme des dirigeants coréens et japonais. La zone démilitarisée est aujourd'hui plus une zone touristique à sensation plutôt qu'un véritable lieu de tension. Ensuite, croire que la Corée du Nord est un pays qui ne fonctionne pas serait une terrible erreur : s'il y eut en effet une famine dans les années 90, ce fut à cause de l'embargo américain. En ce moment, la Corée du Nord a débuté une politique de loisirs plutôt efficace, garantissant à chacun un revenu minimum et un toit, faisant du commerce malgré les sanctions avec tous ses voisins (Chine, Russie, Inde, Thaïlande, Malaisie, ...), laissant de la place aux entreprises privées, se modernisant énormément et atteignant peu à peu le niveau de ses voisins. Les échanges universitaires et flux touristiques sont nombreux, et s'il existe en effet des cas de fuite de Coréens du Nord, ils rentrent tous très vite la queue entre les jambes, et il existe même des cas de fuites de Coréens du Sud en Corée du Nord ! Si ce pays résiste aux sanctions économiques, c'est qu'il a des réseaux commerciaux et diplomatiques dans la quasi-totalité de l'Asie et de l'Afrique (vente d'armes, de drogues, ...), avec des pays non-alignés, des relations de recherche avec l'Inde notamment et un système de sociétés off-shore dont le centre nerveux se trouve à Hong-Kong. Pour un pays fermé, c'est tout de même quelque chose, d'autant plus que la Corée du Nord exporte des ouvriers sur tous les chantiers mondiaux, ramenant ainsi des sous dans les caisses de l'Etat. S'il ne s'agit pas de complimenter la Corée du Nord, elle ne mérite pas tout à fait tous les mensonges proférés à son encontre. Mieux encore, ce livre permet de remettre en doute le concept même de totalitarisme, qui ne peut être qu'examiné d'un point de vue subjectif, bien que cela soit un autre sujet.
Le livre tente de répondre à cette question : la Corée du Nord rentrera-t-elle en Guerre contre ses voisins ? D'abord, la Corée du Nord s'est dotée grâce aux soutiens pakistanais et soviétiques de la bombe nucléaire, ce qui est tout de même un peu embêtant pour les Etats-Unis en cas d'attaque. Le nombre de morts serait pharaonique, la Corée serait ravagée et il n'est pas sur que l'Asie et l'Amérique ne s'en relèvent. En réalité, à y regarder de plus près, personne ne désire et ne fera la guerre. D'abord, les Etats-Unis feignent une posture agressive pour complaire aux ultra-républicains mais cultivent en sous main une volonté de négociation, raison pour laquelle Donald Trump a rencontre Kim Jong-Un à Singapour. La Chine, qui ne supporte pas son petit voisin, ne veut surtout pas une guerre, afin d'éviter les positions russes et américaines à ses frontières, et parce que les relations économiques avec la Corée sont trop importantes (90% des échanges commerciaux de la CDN se fait avec la Chine). La Corée du Sud elle-même, trop développée, refuserait une réunification tant elle serait coûteuse pour eux, plus que celle des deux Allemagne, surtout que cela poserait le problème du régime politique : faudrait-il aller vers une Fédération comme le désirent les Coréens du Nord ou vers une Démocratie intégrale comme le désiraient ceux du Sud ? De plus, les deux pays sont devenus trop différents, y compris au niveau du langage, même s'ils cultivent de meilleures relations que l'on le pense. Quoiqu'il en soit, la Corée du Nord ne peut être considérée comme une ennemie, car elle est aujourd'hui une puissance nucléaire, aux armées efficaces, aux services secrets capables d'intervenir à l'extérieur des frontières, aux cyber-armées ultra puissantes, aux liens indéfectibles avec les puissances alentours, y compris avec sa diaspora au Japon qui lui envoie du cash, grâce au soutien des Yakuzas. La Corée du Nord ne peut être regardée comme un régime dépassé en fin de vie, ou encore comme un nouvel Eldorado : elle est juste la Corée. Le lecteur ne remerciera jamais assez les deux auteurs d'avoir coupé définitivement court à une forme de dualisme manichéen primaire et stupide, qui contamine de manière effrénée tous les réseaux sociaux et médias sur la question. Pour paraphraser le livre qui paraphrasait lui-même celui qu'il ne convient même pas de citer le nom, il faut connaître son ennemi autant que soi-même. Pour cela, il faut négocier. Négocier, et faire la paix.