Un bel essai bien bluezzy !
Début XVIIe siècle, des milliers d’africains sont arrachés à leur famille, à leur terre, à leurs biens, à leur culture et à leur religion pour être soumis à un esclavage qui durera près de trois siècles. Les « bien penseurs » catholiques considérés le noir comme une sous espèce dépourvue d’âme. Ces mêmes personnes aux valeurs morales élevées n’estimaient pas utiles d’évangéliser les esclaves et peu à peu les isolèrent de leur culture considérée comme « satanique », le noir se retrouvant ainsi sans identité, sans religion et sans musique. Qu’à cela ne tienne ! C’est mal connaître le peuple d’Afrique qui peu-à-peu, lentement, s’invente une nouvelle manière de s’exprimer et une nouvelle « religion » : le blues.
En 1963, celui qui s’appelait encore LeRoi Jones rédigea un essai : Blues People, Le Peuple du Blues. Intellectuel né en 1934, LeRoi Jones est alors un fervent militant de la cause noire aux Etats-Unis et offre par cet essai, une vision révolutionnaire pour l’époque – rappelons que la ségrégation raciale est « légale » depuis 1892 et que, malgré quelques lois comme la loi de 1954 interdisant la ségrégation scolaire, il existe encore des écriteaux à l’entrée des bars, des cinémas ou des lieux publics : « white only ».
Au travers ce livre, LeRoi Jones s’interroge sur la place du noir aux Etats-Unis : comment l’africain du début du XVII siècle est devenu d’esclave, un afro-américain. Sa théorie : le nouvel affranchi a su trouver sa place aux Etats-Unis grâce à la musique et plus particulièrement grâce au descendant du Blues : le Jazz. Des grands champs de coton rythmé alors par les chants de travail, LeRoi Jones retrace le parcours du Blues, passant par le blues primitif, et de ses différentes déclinaisons : le Spiritual, le Jazz, le Dixieland, le Rythm & Blues, et j’en passe. On y retrouve des grands noms comme Bessie Smith, Ma Rainey, Dizzy Gillespie, Louis Armstrong, Miles Davis, et bien d’autres encore. LeRoi Jones nous propose un parallèle entre le Blues et le Ragtime, genre de musique très populaire depuis sa naissance vers 1890 et jusque dans les années 1920, s’inspirant des Marches du vieux continent.
Au-delà de la musique, Le Peuple du Blues relate nombre de faits sociologiques. Là où l’esclave n’avait pas besoin d’argent, l’affranchi se retrouve sans argent et se rend compte qu’il doit gagner sa vie. L’émergence d’une classe moyenne afro-américaine imitant le blanc, dénigrant ses racines et rejetant le Blues.
40 ans après sa première édition, Gallimard nous offre en 2006 un format poche. Parsemé de textes de blues et de citations, Le Peuple du Blues est un livre à lire et à relire sous différents angles qui – et cela n’engage que moi - démontre, encore une fois, l’influence positive de la musique et qui malgré les cataclysmes humains, renaît toujours de ses cendres.
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