"Au cours de l'année agitée de ses quinze ans, alors qu'il fouillait dans le congélateur de ses parents (un Kelvinator en émail blanc qui ronronnait dans la salle de jeux au sous-sol), Berni Karp découvrit un vieillard transi dans un bloc de glace."
Voilà comment débute ce roman inattendu, choisi dans les rayons d'une médiathèque sur la seule promesse d'un titre peu ordinaire.
Nous sommes en 1999, à Memphis, Tennessee. Bernie Karp est un ado, tendance larvaire. Son travail consiste à glander devant la télé, engloutissant trop de sucre et d'émissions débiles. Son physique ingrat et son quasi-mutisme en font la victime habituelle des farces et quolibets de ses camarades. Et puis, un jour, alors qu'il cherchait une tranche de foie (pour une utilisation non-culinaire que je vous laisse le soin de découvrir), Bernie découvre... un rabbin, avec barbe et chapeau, congelé dans le sous-sol.
Ce qui ne surprend pas ses parents outre mesure :
"Il s'agit pour ainsi dire d'un legs. Il y a des gens qui conservent leurs animaux domestiques empaillés au grenier, nous, on a un rabbin congelé au sous-sol. C'est une tradition familiale."
Comment le rabbin Eliezer ben Zephyr a-t-il bien pu arriver là ? Et qu'en faire ? Voilà les deux questions qui vont organiser le roman.

Le livre de Steve Stern va alors alterner les chapitres : un chapitre se déroulera dans le passé, et le suivant dans le monde moderne.
L'auteur va ainsi nous faire remonter en 1899, et traverser le XXè siècle. Une grande aventure, commençant, dans la Russie tsariste et passant par la Pologne et les bas-fonds new-yorkais avant de finir dans la ville d'Elvis (avec un petit détour en Palestine).
Et le roman confine alors au picaresque, avec plusieurs générations de marginaux farfelus qui vont veiller sur le bloc de glace et qui vont être transformés d'une façon intense par la présence du rabbin dans leur vie. Un rabbin qui va devenir une obsession, pour le meilleur ou pour le pire.

Très vite, on comprend que le roman constitue une métaphore. Un conte sur la recherche des origines, sur la judéité, cette identité qui plane au-dessus de la tête (ou dans le congélateur, pour certains), à laquelle on ne pense pas forcément mais qui reste quand même présente et à laquelle on revient, inévitablement, de son propre gré ou poussé par les événements.
Au-delà, c'est aussi toute une histoire du peuple juif au XXè siècle, depuis les pogroms russes jusqu'aux attentats contre les Britanniques qui occupaient la Palestine.
Et puis, l'auteur ne fait pas l'impasse sur une certaine critique de l'Amérique actuelle, avec son matérialisme forcené où tout s'achète, même la spiritualité.
Le tout est présenté avec humour, mais en sachant aussi ménager des moments plus sombres, plus dramatiques.
Alors, les chapitres sont longs et remplis de détails que l'on pourrait parfois juger inutiles. Les chapitres concernant Bernie, fin XXè et début XXIè siècles, sont meilleurs, selon moi. La fin est trop longue aussi. Le roman mériterait d'être élagué. Mais l'ensemble est quand même une belle réussite, inattendue, rebondissant sans cesse, intelligente et cultivée, spirituelle, parodique, sensible.

[7,5]

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le 23 févr. 2015

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SanFelice

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