Dans tous les sens
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
31 j'aime
8
Qui a déjà lu quelques livres de Patrik Ourednik connaît probablement son humour particulier : une sorte de grattage permanent qui tire profit du décalage entre la réalité telle qu’elle dysfonctionne et le langage tel qu’il devrait la faire fonctionner. Cela passe ici comme dans Europeana ou Histoire de France par une guerre contre le cliché – voir par exemple cet étrange avertissement au lecteur figurant dans un poème : « Lecteur, prends garde ! Ne mange pas ce livre, même bouilli ! » (p. 30)
Évidemment, par facilité, on qualifiera le Silence aussi de recueil de poésie. Pourquoi pas ?
Mais ces poésies-là, plutôt qu’un travail sur la langue dans toutes ses composantes, en particulier musicale – ou en plus d’un travail sur la langue sur lequel le non-tchécophone que je suis ne saurait porter le moindre jugement –, propose du moins un travail sur le sens des mots. La chute d’un poème comme « Koval l’espiègle » (p. 16-17), par exemple, serait la partie émergée de ce travail. (Pour faire court, il arrive à Koval, « pendant la grande famine de 1933 », ce qui arrive au père Goriot dans le roman du même nom. Les deux derniers vers sont ceux-ci : « Ses amis le surnommèrent l’Immortel. / Il mourut trois ans plus tard d’une pneumonie. » – On aura du reste remarqué que l’espièglerie dudit Koval est toute relative…)
Ce travail met naturellement le lecteur à contribution. Dans « l’ami triste », notamment, tout est construit sur le mode de l’allusion. C’est au lecteur de se représenter, parfois d’imaginer, y compris dans la chute : « déguerpis, / change de vie, / ferme du dehors » (p. 12). On peut lire là une adresse à un « ami » qui jusque là n’était évoqué qu’à la troisième personne – ou lire autre chose. Mais on peut aussi se contenter de relever ce qu’il y a d’étrange dans l’expression « ferme du dehors », et toutes ses implications – fermer pour ne pas revenir ? pour que personne ne sorte ? dans un sens concret ou symbolique ? À vous de voir.
À la rigueur, plutôt que des poésies, ce recueil présenterait quelque chose comme des aphorismes mis en action. Ou bien, ce qui revient peut-être au même, des micro-nouvelles, assez proches de celle que l’histoire / la légende littéraire attribue à Hemingway. Ça me paraît bien être le cas dans « l’indécis » (p. 60), par exemple, dont les six vers suivent : « tu as coupé le gaz ? / éteint l’électricité ? / fermé la porte à clé ? // le grenier est humide, / espérons que la corde a tenu. // elle est là depuis tant d’années. »
Créée
le 24 déc. 2019
Critique lue 43 fois
1 j'aime
Du même critique
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
31 j'aime
8
Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...
Par
le 12 nov. 2021
21 j'aime
Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...
Par
le 4 avr. 2018
21 j'aime