Clivage au pays des surréalistes !
Pamphlet contre les surréalistes, plus exactement contre les surréalistes chiens de garde, en tête de file André Breton, qui refusent la transformation des consciences politiques et sociales dans la France d'après guerre (39-45).
Roger Vailland, qui a appartenu dans sa prime jeunesse au mouvement des surréalistes, explique comment l'entrée en résistance auquel "échappe" Breton, exilé aux Etats-Unis, et se refusant à tout soutien à la résistance, est un déclencheur quant à la réalité des classes laborieuses et engendre une prise de conscience de la nécessaire lutte politique pour le renversement du système capitaliste. Il nous y explique que le temps de la jeunesse surréaliste en marge de la société par le choix qui lui est permis grâce à son statut petite-bourgeoise(1) et son fantasme de rejet de la société "dérisoire"(2), des emplois "dérisoires" va se retrouver confronter à la - violente - réalité.
Dès lors, les artistes et scientifiques ne peuvent plus se permettre d'être révoltés tout en sacralisant le passé, il leur faut être révolutionnaires pour une société du progrès et de la liberté. Or, André Breton, en dehors des réalités de l'occupation, refuse toute démarche partisane et engagée. Pour preuve, et pour contrecarrer la théorie marxiste, alors qu'il adhère en 1930 au Parti communiste français, il prône un retour au sacré et au religieux tant décrié dans ses jeunes années. Le clivage entre les surréalistes "progressistes" et "réactionnaires" atteint son apogée (après différents pamphlets au sujet de l'un et l'autre) lorsque que le Figaro, organe de la "presse bourgeoise" ouvre ses lignes à Breton (après un silence absolu de 15 ans sur ce mouvement) en bas de sa Une. En parallèle, l'Humanité, journal officiel du PCF, parti des fusillés et de la résistance à l'occupation allemande, titre en gros en Une l'adhésion de Picasso, ancien surréaliste, ainsi que celle d'autres (Aragon, Tzara, Triolet, Eluard pour les plus fameux), au parti dit de la classe ouvrière.
Ce pamphlet à l'encontre des surréalistes est très accessible notamment grâce à sa brièveté (une centaine de pages) et à son articulation. En effet, Roger Vailland nous informe sur la création du mouvement surréaliste en analysant les raisons de celle-ci, nous explique les premières "activités" (auquel évidemment il participe), son évolution vers un discours porté sur la révolte et le changement qui l'amène à se rapprocher du Parti communiste pour finalement expliquer le détachement d'un certains nombre de surréalistes au mouvement (3). Fustigeant André Breton, il n'en met pas moins en lumière le revirement en l'espace de 15 ans d'un mouvement "au service de la révolution"(4) à "l'adhésion aux forces de la réaction".
En parallèle, Le Surréalisme contre la révolution interroge le rôle de l'art et, notamment de la littérature, le devoir des intellectuels et met en exergue la faculté de certains de retourner leurs vestes au profit de leur intérêt propre(5). C'est pourquoi, Vailland réaffirme la nécessité pour l'art et en particulier la littérature d'être au service du peuple et de défendre ses intérêts.
Cet ouvrage paru dans les Editions Sociales a donc clairement un parti pris qui pourra en déranger plus d'un. Toutefois, au delà du manifeste politique, Le Surréalisme contre la révolution nous offre une analyse juste des contradictions et des engagements des intellectuels français au sortir de la guerre.
Si, pour ma part, j'adhère aux théories développées, je le conseille également aux indécis politiques ou à ceux qui rejettent ces idées ne serait-ce que pour mieux comprendre le cheminement de pensées des auteurs et artistes qui ont contribué à l’enrichissement de notre culture à travers leur recherche d' "idéal".
(1) voir chapitre I "Le temps du dérisoire"
(2) ibid
(3) voir chapitre IV "Le monde de la bombe atomique n'est pas dérisoire"
(4) Voir la revue publiée en 1930 "Le Surréalisme au service de la révolution"
(5) Voir chapitre VI "Le maréchal et le surréaliste"
Enfin, je ne résiste pas à vous partagez un passage qui, certes le plus partisan de l'ouvrage, est d'une rare efficacité et ne m'a pas laissée indifférente :
" C'est que le communisme n'est ni une Eglise où on entre pour faire son salut ni un dogme pour les inquiets en quête d'une éthique.
Le communisme est un mode de combat, le mode de combat adoptés par les travailleurs pour leur libération. C'est la forme contemporaine et propre à la classe ouvrière de la lutte de l'homme contre la nécessité, du combat qu'il livre, depuis ses origines, pour se libérer du joug des forces de la nature - ici les lois d'airain du capitalisme - et les plier à son service.
La lutte contre la nécessité peut être envisagée sous divers aspects : elle est révolte, c'est le défi de Prométhée, elle implique cette conviction " que le bonheur est possible " qui est à la base de toutes les révolutions et de toutes les conquêtes de l'homme. Elle est réflexion et méditation, recherche des lois naturelles, afin de trouver le point où insérer l'action, c'est la physique, les mathématiques, la biologie... le marxisme qui recherche les lois des sociétés humaines et des phénomènes économiques. Elle est enfin pratique, efficace et toujours perfectionnée, technique de la machine à vapeur ou de électricité, politique qui s'exprime à mesure qu'elle prend maîtrise de son objet, dans les mots d'ordre du Parti communiste.
Mais ses divers visages sont indissolublement liés, séparables seulement pour la commodité de l'exposition. Tantôt la pratique engendre la théorie, tantôt la théorie la technique. Ce n'est pas seulement vrai pour la mécanique : Lénine applique le marxisme aux nécessités contemporaines, tandis que sans cesse le Parti rectifie sa politique à la lumière du marxisme et ramène dans la " ligne" les élèments qui ont dévié parce qu'ils se sont détachés des masses, parce qu'ils ont cessé de vivre dans leur chair et dans leur sang le défi à la nécessité et à la volonté de transformer leur condition. Lutte des classes, marxisme, Parti, ce ne sont que les divers aspects d'un même bloc, les durs visages d'un même combat.
Dans ce même combat, un mineur ou un métallurgiste sait d'emblée où est sa place. Il a suffi d'une grève, d'une période de chômage, d'une baisse de salaire, d'un renvoi injustifié, pour éveiller sa conscience de classe. Il ne se reconnait pas le droit de rester neutre, celui qui ne fait pas grève est un jaune, ne pas prendre parti, c'est prendre parti contre ses compagnon de travail. Et il a vite fait de s'apercevoir que pour les prolétaires, la discipline est une question de vie ou de mort, et que les diviseurs de la classe ouvrière sont ces plus grands ennemis." (6)
(6) voir chapitre III " La tentation du communisme" pp85-87.
Au sujet de cet extrait, notamment sur la question du PCF, il est évidemment à remettre dans le contexte de l'époque (1947). Comprenne qui pourra et qui voudra comprendre.
Enfin, je me rends compte de l'immense pavé que je viens de pondre, je remercie les courageux qui liront cela jusqu'au bout.
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