Peinture sociale et historique de l' Angleterre de l'entre deux guerres, roman de mœurs, roman érotique, la lecture de L'Amant de Lady Chatterley revêt plusieurs intérêts.
Je retiens surtout la modernité de la réflexion de Lawrence sur la sexualité et le bonheur conjugal, de même que la grande contemporanéité du discours sur le travail, l'antagonisme entre les classes sociales et entre la ruralité et l'industrie. A quelques exceptions près, évidemment. On n'évite pas certains écueils sur la maternité et le mariage ou encore l'homosexualité, on y retrouve un certain fantasme du retour à la nature mais le roman date de 1928, et les points développés représentent assez bien les différents avis de l'époque. Ce roman est une sorte de sociologie d'une Angleterre en plein changement, et le portrait des différents caractères ne vient à mon avis qu'appuyer le désarroi mais aussi la peur et l'envie qu'il engendre.
Il est également vraiment agréable que soit décris une relation réaliste, entre attirance physique, découverte du corps, de la sensualité et du plaisir charnel sans pour autant tomber dans la surenchère des passions. Cela donne une authentique crédibilité à cette histoire. Et c'est là une des vraies forces du roman, finies les Princesses de Clèves qui choisissent la vertu, finis les Werther qui se suicident de désespoir, oubliées les cinglantes humiliations d'une Madame de Merteuil. Non, ici, on préfère Sir Thomas John et Lady Jane. Ici, on cède au corps, on y trouve un aspect sain, on le décris explicitement, sans peur et sans tabou. Un pénis est un pénis. Pourquoi Lawrence devrait-il l'appeler autrement ? J'imagine la bombe que cela dût être à sa sortie. Le dessein de l'auteur est d'éduquer ses contemporains à la sexualité, et notamment les femmes. Je ne connais pas bien l'auteur mais ce roman est autant un manifeste féministe avant l'heure qu'il est la photographie fidèle des mœurs et des questionnements de l'époque : un pied dans la tradition et un pied vers le futur.
J' ai pu manquer d'intérêt par moment pour la quête de découverte sexuelle de Constance mais j'ai été absolument passionnée par sa vision de la vie, sa vie, son néant, sa tranquille inexistence, puis son réveil, sa renaissance. J'ai trouvé sa vision des réalités ouvrières de l'époque assez juste, et la culpabilité qu'elle tire de sa position sociale ainsi que tout son cheminement de pensée des plus enrichissants. Clifford, son mari, a été pour moi un des personnages les plus intéressants et sans doute la peinture la plus réaliste en terme de caractère, exactement comme j'imagine être un jeune aristocrate infirme et intellectualisé du début du XXème siècle. A l'inverse, j'ai eu peu d'engouement pour le personnage de Mellors, il ne fait que servir l'histoire : il faut bien que notre héroïne s’extraie de cette lente et monotone mort qu'est sa vie ; certaines de ses particularités m'ont touchées, elles m'ont intriguées mais il s'agissait toujours d'émotions superficiels. Je ne lui ai vu aucun autre réel intérêt que celui de permettre l'accomplissement de Constance, une sorte de faire-valoir de l'intrigue amoureuse.
Et puis, finalement, ce n'est pas tant l'intrigue amoureuse qui m'a conquise. Ce serait plutôt le réalisme de l'histoire sans fioriture, sans lourdeur et le style de l'auteur. Soins des détails, métaphores, citations, références littéraires, bibliques, scientifiques, journalistiques s'insinuent dans une écriture extrêmement imagée entre clarté et finesse, où le discours indirect libre à la place belle, où les mots sont fluides et courent naturellement sur la page. Où tour à tour, nous sautons d'esprits en esprits sans même le remarquer, où seuls quelques mots nous suffisent à cerner exactement la psychologie du personnage au moment donné.
Un chef-d'oeuvre pour son réalisme, parce qu'il est pris entre deux époques, deux étaux, et que c'est pour moi un réel enchantement de pouvoir être le spectateur de cette fracture : de ce temps où rien n'est plus comme avant. et où les mentalités changent ; d'être le spectateur d'une époque morne et resplendissante ; où on revenait meurtri de la guerre pensant trouver la société telle qu'on l'a laissée, si semblable et devenue tellement différente