“It's terrible, once you've got a man into your blood!" she said.
On connaît tous cette histoire. L'aristocrate qui s'entiche de son garde chasse. On connaît tous ce roman par ouï-dire : on le dit érotique, subversif, voire scandaleux. En découvrant ce roman, en anglais, j'ai été très surprise de constater qu'il ne correspondait que partiellement à ces clichés.
Chose étonnante, il s'appelle "Lady Chatterley's lover". Pourtant, ce "lover" n'est pas au centre du roman. L’héroïne est Lady Chatterle et elle seule, un personnage sans grande saveur mais auquel on n'a aucun mal à s'attacher. Presque tout le roman est écrit de son point de vue. Il est absolument extraordinaire et étonnant qu'un homme, réputé grand misogyne par ailleurs, puisse aussi bien retranscrire les pensées et émotions d'une femme. Parfois, il s'égare, faisant constamment référence au "womb" (=utérus) de Constance. On ne pense pas qu'avec notre utérus, merci Monsieur Lawrence. Toujours est-il que ce roman est féministe avant l'heure. D'une existence morne, proche du néant (le mot "nothingness" revenant comme un leitmotiv dans l'oeuvre), Constance se libère peu à peu grâce à cette relation amoureuse et s'accomplit en tant que femme. C'est écrit avec tellement de finesse, tellement de subtilité, que l'on ne peut pas rester insensible à cette belle destinée de femme.
Mais au delà de ce thème somme toute assez classique, D.H Lawrence se lance dans un plaidoyer pour un certain retour à la nature, aux émotions, à la sensibilité. Le roman abonde en descriptions apocalyptiques du monde ouvrier et de la mine, monde qui ruine les hommes et qui fait taire leurs instincts. Cela est particulièrement frappant lors d'une escapade de Connie, qui se rend dans une ville non loin de sa propriété de Wragby et découvre l'enfer de la ville industrielle. D.H Lawrence oppose les deux personnages masculins de l’œuvre : d'un côté Clifford, homme froid, cérébral, qui dirige des mines sans éprouver la moindre compassion pour ses employés, tandis que Mellors incarne l'homme proche de la nature, instinctif, bestial, privilégiant les émotions à l'intellect. Lors d'un passage assez mémorable du roman, Mellors et Lady Chatterley courent nus dans la forêt : ici, Lawrence invite une nouvelle fois à une communion avec ce qui nous entoure, à une totale liberté. Bref, Lady Chatterley incarne la trajectoire que toute personne devrait suivre, selon l'auteur : se détacher des considérations intellectuelles et laisser place à ses sentiments et désirs. C'est très utopique, mais transformé sous le prisme de la fiction, c'est très beau.
Le roman consiste en une renaissance, celle de son héroïne. Le mot "born" revient sans cesse d'ailleurs. Et cette renaissance passe par une redécouverte de la sexualité. Le roman est réputé pour ces scènes d'amour qu'on dit particulièrement osées pour l'époque. Certes, c'est très explicite et étonnant pour un roman des années 30. Mais Lawrence s'adonne à des métaphores, plus ou moins réussies, pour éviter d'être trop cru. Et confère à ces scènes un caractère romantique et bucolique. Malheureusement, on verse parfois dans le ridicule. Par exemple, dans le dernier quart du roman, Mellors et Lady Chatterley se mettent mutuellement des fleurs dans leurs poils pubiens....Lawrence a dérapé...C'est le moins qu'on puisse dire ! Autre scène absolument risible : Connie s'extasiant devant le sexe de Mellors. Le tout sur une demie page. Je vous fais grâce des comparaisons employées, elles sont d'une lourdeur absolue. Ce sont bien les seules fois où l'écrivain manque cruellement de subtilité. Mais il y a quand même quelque chose de réellement subversif pour l'époque : Mellors appelle un chat un chat et utilise des mots tels que "fuck", "cunt", ou "cock". Dans ce type de passages, D.H Lawrence est véritablement novateur et il est agréable de le voir enfin employer les vrais mots et non plus des métaphores scabreuses ou mièvres.
Mais l'écriture reste vraiment très belle, fondée sur des répétitions, des anaphores, des références intertextuelles. On y cite Shakespeare et Whitman. Lawrence est surtout un maître du discours indirect libre et fait ainsi se succéder les réflexions de ses personnages. De la conscience de Connie, on passe à celle de Mrs Bolton à celle de Clifford, le tout dans une fluidité incroyable, à la Virginia Woolf. Le roman regorge aussi de maximes toutes plus belles les unes que les autres (« For the bonds of love are ill to loose ») et de dialogues cinglants (« - Why don’t men marry the women who would really adore them ? - The women start adoring too late »). En anglais, ce roman est un délice absolu à la lecture. Je ne connais pas les traductions, mais si vous maîtrisez la langue anglaise, lancez vous.
Comment définir ce roman ? Plaidoyer contre l'argent et le monde industriel ? Roman de la lutte des classes ? Histoire érotique ? Poésie pastorale ? C'est un mélange de tout cela. Mais c'est surtout une très belle histoire d'amour, qui culmine dans une lettre magnifique que Mellors adresse à Connie. Probablement le plus beau passage du roman, qui sonne à la fois comme un cri d'amour et un dernier élan d'espoir. Néanmoins, je regrette que le manque de crédibilité du personnage de Mellors. Il est décrit comme un homme très éduqué, cultivé, qui est capable de maîtriser parfaitement le langage. Mais ses paroles sont quasiment toutes écrites dans un cockney incompréhensible, cockney qui déplaît fort à Connie d'ailleurs. C'est à sauter par la fenêtre quand on lit le roman en anglais, croyez moi. Il semble peu vraisemblable qu'une personne aussi éduquée puisse parler de cette façon, devant une aristocrate de surcroît.
Quoi qu'il en soit, il faut lire Lady Chatterley's lover. C'est une œuvre sensible, extrêmement bien construite, qui devrait pouvoir parler à beaucoup d'entre nous, mes chères. Mais on peut l'apprécier avant tout pour sa poésie, pour toute la réflexion qui y est développée et pour la maîtrise incroyable qu'a D.H Lawrence quand il s'agit de décrire la psychologie féminine. Bref, ce roman est à la hauteur de sa réputation. Il la surpasse même.
Laissons la parole à Mellors...
« Give me the body. I believe the life of the body is a greater reality than the life of the mind. »