Dans tous les sens
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le 1 oct. 2017
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Peut-être plus encore que pour les autres écoles, ou courants, ou mouvements – le nom change au gré des programmes universitaires et scolaires –, on peut discuter à l’envi du bien-fondé de la notion de symbolisme. Toujours est-il que s’il existait pour chaque courant / mouvement / école un équivalent du livre de Jean-Nicolas Illouz, on ne perdrait pas au change.
Car le Symbolisme se lit avec profit même si l’on n’est pas porté sur la critique universitaire, notamment parce qu’une cinquantaine de pages est constituée d’une compilation de textes critiques d’Albert Aurier, Ferdinand Brunetière, Gourmont, Maeterlinck, Mallarmé, Moréas, Jacques Rivière, Saint-Pol-Roux, Valéry et Verhaeren – c’est-à-dire d’une majorité de pratiquants du symbolisme, ce qui n’est guère étonnant dans la mesure où l’une des caractéristiques du symbolisme, et de la littérature fin-de-siècle en général, est précisément l’autoréférentialité : les symbolistes aiment à parler d’une littérature qui montre qu’elle est littérature… Cette idée, comme bien d’autres, se trouve dans le Symbolisme.
L’ouvrage de Jean-Nicolas Illouz opère selon une triple approche, analysant le symbolisme sous les angles successifs de l’histoire littéraire, de l’imaginaire et des formes d’écriture. D’où quelques redites, largement compensées par la clarté du plan et du propos.
Je viens de parler de littérature et d’écriture, mais il n’est pas question que de cela dans le Symbolisme. On parle aussi de peinture et de musique, d’autant que « Le Wagner que reçoivent les symbolistes est, autant que le musicien, le penseur et le théoricien, auteur de la Lettre sur la musique écrite dès 1860 à l’intention du public français » (p. 18), précision d’autant plus utile pour l’amateur de littérature qu’elle éclaire l’esthétique d’un Baudelaire, d’un Mallarmé ou d’un Laforgue, pour ne s’en tenir qu’aux noms les plus connus. D’une manière générale, l’auteur souligne que « La notion de “musique” apparaît comme la valeur majeure du discours symboliste, et son champ d’application, par-delà la musique proprement dite, s’étend à tous les arts » (p. 179) – sans qu’agisse seulement, en littérature, d’une question de musicalité de la langue. (On parle aussi un peu de peinture dans le Symbolisme.)
D’une manière générale, l’auteur propose tout au long de l’ouvrage des idées – parfois appuyées sur des extraits de textes – précieuses, dans la mesure où elles mettent en lumière et expliquent des caractéristiques d’un courant / mouvement / d’une école qui sans cela serait facilement réduit à ses clichés : des aquarelles maladives, des histoires de jeunes artistes célibataires et spleenétiques, des Ophélies fatales flottant dans des eaux glauques, etc. (1)
Parler de cette « lacune fondamentale à partir de laquelle se déploie le symbolisme moderne : l’Apparition ne recèle aucune Révélation » (p. 103), préciser que « comme pour “l’invention” du poème en prose, le travail souterrain des traductions joue un rôle majeur dans l’expérimentation de nouvelles formules poétiques » (p. 221) ou encore rappeler qu’avec le symbolisme « l’imagination, autrefois investie d’un pouvoir de révélation et d’actualisation ontologique, a fait place à l’imaginaire, qui mure le sujet en lui-même, le livre à ses désirs et à ses angoisses, à ses fantasmes et ses fantasmagories » (p. 158), par exemple, c’est une des grandes qualités du livre, qui, de fait, reste stimulant sur pas loin de trois cent cinquante pages.
Et pour approfondir encore ce gisement d’idées, la compilation de textes en fin d’ouvrage propose des points de vue d’auteurs sur le symbolisme, qu’ils définissent celui-ci (le fameux « Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets » de Mallarmé, p. 248), s’en détachent (« Tout dans l’œuvre symboliste porte la marque d’un créateur trop conscient », regrette Jacques Rivière, p. 289) ou proposent leur esthétique propre (Maeterlinck « affirm[ant] que le véritable tragique de la vie, le tragique normal, profond et général, ne commence qu’au moment où ce qu’on appelle les aventures, les douleurs et les dangers sont passés », p. 281).
C’est pour ça que le Symbolisme de Jean-Nicolas Illouz n’a rien de ces manuels voués à prendre la poussière sur les étagères des B.U.
(1) Cf. ce portrait fait par Léon Bloy de ce jeune auteur qui « appartenait à la pléiade symboliste et […] collaborait assidûment au Grimoire, à la Mélusine et à la Revue des Crotales » (« Le Réveil d’Alain Chartier », dans les Histoires désobligeantes).
Créée
le 25 déc. 2019
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