Euh, il a écrit ça au début des années 80 ?

Un classique de la dystopie, disait la quatrième de couverture. Et moi, je dis : bien vu, Jean-Pierre Andrevon. Ce roman, paru en 1983, est censé se dérouler au 21ième siècle. Et si l'action, au vu des technologies qui sont évoquées et décrites dans ce bouquin, est, je crois, plutôt située durant la seconde moitié de notre siècle, force est de constater qu'en termes de trajectoire, en 2020, nous ne sommes pas bien éloignés de celle qui nous mène tout droit au monde (et à la France) décrite dans "Le travail du furet".


Voyez plutôt : pollution et extinction de la plupart des espèces et généralisation des technologies de paiement, de diffusion de l'information et de surveillance des citoyens. Inégalités sociales accentuées et ségrégation spatiale des différentes classes. Gouvernement technocratique, sans réelle opposition politique. Discours d'état aseptisés, positifs et massivement relayés par les médias cachant une réalité toute autre. Bouffe de merde et poisons divers généreusement répandus dans l'eau, sur la terre et dans l'air. Individualisme forcené conduisant à une extrême solitude. Et pour finir, une population résignée et acceptant finalement l'innommable sans véritablement sourciller. Un bouquin qui est avant tout politique (du moins, que j'ai lu comme tel) et dont la force évocatrice, plus de trente cinq ans après qu'il ait été écrit, reste parfaitement intacte. Ce qui est surprenant, et surtout inquiétant. Un bouquin qui parlera à tous ceux qui pensent qu'un auteur de science-fiction a pour vocation, entre autres, d'imaginer notre avenir...


Bien sûr, nous n'en sommes pas encore aux tueurs à gages fonctionnarisés et agissant pour réguler la population dans le cadre d'une politique eugéniste. Et d'ailleurs, le tueur à gages n'est probablement pas le moyen le plus rationnel d'y parvenir. On pourrait à n'en pas douter obtenir des résultats identiques en taillant, par exemple, dans les budgets de santé. Mais bon, Andrevon a aussi conçu son bouquin comme une sorte d'hommage au roman noir de la seconde moitié du 20ième siècle, roman noir dont il adopte le rythme, le style d'écriture, les archétypes scénaristiques et les personnages. D'où, bien entendu, le tueur à gages, narrateur, et accessoirement quelques autres personnages secondaires, dont le politicien pourri et la prostituée au grand coeur. Mais en nombre limité : beaucoup d'anonymes aussi en fait, solitude oblige.


Du coup, ça se lit un peu à deux niveaux : polar et dystopie. Il y a évidemment pas mal d'action, et qui va crescendo au fur et à mesure que l'on se rapproche de la fin, avec une scène de poursuite d'anthologie. C'est donc garanti sans ennui. Une petite réserve tout de même, pour finir : notre tueur à gages narrateur est également fan de cinéma des années 50~60 et nous décrit par le menu son avis sur les films qu'il visionne entre deux journées de boulot, au point que ça vire parfois un peu à "La dernière séance". Un peu superflu, à mon sens, l'hommage au roman noir est suffisamment explicite et prononcé, ce n'était pas la peine d'en remettre une couche, ça alourdit finalement un peu le truc.

Marcus31
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Lu en 2019

Créée

le 26 juin 2019

Critique lue 322 fois

11 j'aime

2 commentaires

Marcus31

Écrit par

Critique lue 322 fois

11
2

D'autres avis sur Le Travail du Furet

Le Travail du Furet
Scapman
8

Critique de Le Travail du Furet par Scapman

Andrevon mélange ici SF et Polar et c'est réussi, on s'attache rapidement au Furet, cynique et passionné par le Cinéma et qui exécute les ordres sans se préoccuper d'autre choses jusqu'au jour ou il...

le 7 sept. 2010

3 j'aime

Le Travail du Furet
Nanash
5

Critique de Le Travail du Furet par Nanash

Je crois qu’il faut être plus âgé que moi pour apprécier ce roman, ma critique est donc à prendre comme le sentiment de quelqu’un de complètement étranger à cette période de la SF. L’idée de départ...

le 31 déc. 2015

1 j'aime

Du même critique

Papy fait de la résistance
Marcus31
10

Ach, ce robinet me résiste...che vais le mater

Ce qui frappe avant tout dans ce film, c'est l'extrême jubilation avec laquelle les acteurs semblent jouer leur rôle. Du coup, ils sont (presque) tous très bons et ils donnent véritablement...

le 2 sept. 2015

42 j'aime

5

Histoire de ta bêtise
Marcus31
10

A working class hero is something to be

Un pamphlet au vitriol contre une certaine bourgeoisie moderne, ouverte, progressiste, cultivée. Ou du moins qui se voit et s'affiche comme telle. On peut être d'accord ou non avec Bégaudeau, mais...

le 15 avr. 2019

32 j'aime

7

Madres paralelas
Marcus31
5

Qu'elle est loin, la Movida

Pedro Almodovar a 72 ans et il me semble qu'il soit désormais devenu une sorte de notable. Non pas qu'il ne l'ait pas mérité, ça reste un réalisateur immense, de par ses films des années 80 et du...

le 14 déc. 2021

25 j'aime