Un pamphlet au vitriol contre une certaine bourgeoisie moderne, ouverte, progressiste, cultivée. Ou du moins qui se voit et s'affiche comme telle. On peut être d'accord ou non avec Bégaudeau, mais force est de constater l'acuité du regard qu'il porte sur cette classe sociale (oui, c'est bien ainsi qu'il l'appelle), qu'il serait par ailleurs trop facile de réduire à la dénomination de "bobos", même si il est difficile de ne pas y penser. Acuité qui, à n'en pas douter, provient de ses propres fréquentations, des milieux notamment culturels. Qu'il essaie - un peu poussivement parfois, il faut le reconnaitre - d'assumer en fin de bouquin, en se différenciant de ceux qu'il vilipende et atomise sans merci. Par une pensée radicale qu'il oppose à la pensée conformiste, ou plus précisément à l'absence de pensée qu'induiraient les postures conformistes. Cette bêtise, en fait, dont il est question dans le titre.
Oui, j'ai trouvé la fin du bouquin plus embrouillée, moins percutante que ses 100 premières pages. Plus compliquée aussi, plus intello certainement. Plus introspective, sans aucun doute, puisque l'auteur s'y interroge sur sa condition d'intellectuel, qui quoiqu'il fasse, fait partie du système qu'il dénonce. Bon, bah, ça reste tout même, à mes yeux de lecteur, infiniment plus honnête que les positions d'autres intellectuels de renom, qui pourtant, hantent les plateaux de télévision.
Mais le début , quel régal. Mais putain, que c'est salutaire d'écrire et de pouvoir lire ce genre de truc. Qu'est-ce que ça fait du bien. Quel punch, quelle lucidité sociale. Combien de fois me suis-je retrouvé à devoir soutenir des conversations avec des personnes qui sont en tout point semblables à celles que Bégaudeau interpelle : il s'adresse durant tout le livre à un interlocuteur invisible (le bourgeois) qu'il tutoie. Et combien de fois ai-je simplement fermé ma gueule pour éviter un impossible débat. Car c'est bien le propos du bouquin : allez donc débattre avec quelqu'un qui ne pense pas. Mais - et c'est la thèse de Bégaudeau - qui adopte des postures qu'il est interdit de contredire et dont le propos essentiel est de préserver son patrimoine et sa prospérité, dans un réflexe, finalement, de classe. Un conservateur au sens propre, quoi.
Mais le bourgeois, justement, il lui met le nez dans son caca et là c'est un festival. Car il manie bien la langue, notre ami. Et que je te démonte de l'idée reçue à tour de bras, tout y passe : les populistes contre les démocrates, les extrêmes qui se rejoignent, la gentille Clinton contre le méchant Trump, le Brexit, le complotisme, l'Europe, la fin des idéologies, l'Islam, cette tolérance envers les minorités dès lors que cela n'introduit pas une problématique sociale, ce progressisme qui consiste à taper sur les plus réacs (sociétalement, mais surtout pas socialement), l'anti-communisme viscéral, le cool jusque dans l'habillement et les produits culturels, le mépris des pauvres, etc. etc. etc. Et tout ça avec une bonne demi-douzaine de punchlines par page. Un véritable fracassage en règle du désormais tristement célèbre "et en même temps,.." à coups de masse d'armes.
Alors évidemment, si j'ai attribué une telle note et si vous avez lu jusque là, vous aurez compris que je suis plutôt d'accord que pas d'accord avec Bégaudeau. Et c'est un euphémisme, j'ai été littéralement scotché par certains passages, au point de me dire par moments "mais ça, c'est exactement ce que je pense". Naturellement, Bégaudeau va l'exprimer avec bien plus de talent que je ne puis le faire. Mais tout de même, ça m'arrive rarement ce genre de trucs. Nos origines nantaises communes ? Le fait d'avoir fréquenté (à 10 ans d'intervalle) le même lycée ? L'amour du foot ? du rock'roll ? Je n'en suis pas encore revenu...
Au fait, prêt à débattre avec un(e) éventuel(le) contradicteur(trice)...