Un psychiatre alcoolique en difficulté professionnelle et affective se voit confié par un colonel des services secrets, la mission de soigner un mystérieux personnage qui débarque à son domicile personnel en pleine nuit. S'ensuit une cascade d'évènements incompréhensibles et absurdes, venant remettre en cause la santé mentale du narrateur. Egon Hostovsky, écrivain d'origine tchèque ayant émigré aux USA pour fuir le communisme pourrait tirer son scénario de son célèbre compatriote, Franz Kafka. Dans ce livre, le genre "roman d'espionnage" est poussé au paroxysme, c'est-à-dire jusqu'à l'absurde. Rapidement, le narrateur pris en conflit entre les agents soviétiques et américains (nous sommes en pleine guerre froide) ne sait plus qui est qui et surtout qui fait quoi et dans quel but. Et le lecteur est bientôt aussi perdu et confus que le narrateur. L'espionnage devient ici la métaphore d'un monde dans lequel toute action quelle qu'elle soit n'a jamais le but qu'on lui a assigné parce qu'elle est programmée et réalisée par des gens qui ne savent pas ce qu'ils font. En cela, ils ne font jamais qu'ajouter désordre et confusion au sein d'une existence qui est déjà passablement confuse. On est ici bien loin des jamesbonderies et un cran au-dessus de Le Carré. Les coups de billard à trois bandes n'abolissent pas le hasard, ils le créent. À moins que l'on se trouve dans un asile de fous. Une thématique qui a dû inspirer Dürrenmatt dans sa pièce "Les physiciens".
La lecture de ce livre (qui est loin d'être un roman de gare) écrit en 1955 s'avère salutaire dans notre monde actuel bruissant de théories du complot et de "post-vérités". À force de chercher du sens partout et de prêter à l'autre des intentions malfaisantes, le sens lui-même finit par être aboli, car les uns finissent toujours par devenir les autres, et les autres les uns. La guerre actuelle en Ukraine en est un bon exemple...