J’aime beaucoup ce roman choc, pour ce qu’il révèle et aussi son style narratif simple, sans être épuré, plein de dialogues vivants et intéressants. L’action se passe au début de l’année 1960. Ce « visage de pierre », c’est celui qu’essaye de reproduire sur une toile le jeune peintre américain exilé à Paris, Siméon ; c’est le visage de la haine, tel qu’il l’a croisée à maintes reprises aux Etats-Unis chez ceux qui l’ont persécuté sans aucune raison, juste pour sa couleur de peau. Siméon rejoint à Paris la communauté des expatriés arpentant le quartier Latin. Tous les repères et les descriptions sont authentiques et le récit en partie autobiographique, puisque Smith a longtemps vécu à Paris. Son héros fréquente en particulier le café Tournon, qui fut l’un des hauts-lieux des Noirs américains en exil, parmi lesquels des musiciens de jazz et des écrivains. Un des plus jolis passages du livre est le récit d’un simple barbecue en forêt, journée délicieuse et festive à laquelle prend part toute une petite bande de jeunes insouciants, des brésiliens, anglais, américains, français, suédois ou canadiens. L’ambiance cosmopolite, la liberté de se promener sans s’attirer de regards ou de remarques racistes, car il est partout reconnu avant tout comme un américain, charment Siméon. Jusqu’à ce qu’il se rende compte que la guerre d’Algérie ne se passe pas qu’en Algérie, et que les Arabes sont en France ce que les Noirs sont aux Etats-Unis. Avant le rapprochement familial, ce sont majoritairement des hommes, ouvriers non qualifiés vivant parqués aux limites de la « zone », dans l’actuel 18e arrondissement et au-delà. Siméon les rencontre.

Le roman est parsemé de discussions sur le racisme et ses différentes formes, mais aussi l’assimilation et ce qu’elle signifie, l’engagement pour une cause, le but à donner à sa vie, s’il faut fuir ou résister, l’oisiveté et ses conséquences. (Il n’y est pas question d’art.) Un roman foisonnant et militant. Passionnant si on aime imaginer Paris il y a plus de 60 ans ou/et si on considère que le racisme, alors comme aujourd’hui, est une question cruciale.

Gardner Smith a écrit quelques romans, mais surtout travaillé comme reporter à l’AFP, devenant spécialiste des pays africains. Né en 1927 à Philadelphie, W. Gardner Smith est trop jeune pour participer à la 2nde Guerre mondiale, mais il fait son service en 1946 dans Berlin occupée. De retour chez lui, il devient écrivain et journaliste, bénéficiant d’un certain succès avant de partir en 1951 à Paris. A partir de 1967, il est reconnu en France comme expert de la situation raciale aux Etats-Unis, en plus de ses reportages en Afrique. Il a aussi été envoyé spécial en Yougoslavie, Pérou, Maroc, Biafra. Il est mort à Ivry en 1972. La diaspora noire américaine à Paris est décrite dans un essai précieux, qui mériterait une réédition : de Michel Fabre, « La Rive Noire : de Harlem à la Seine », édité en 1985, pas facile à trouver mais il reste quelques exemplaires d’occase.


Nounours30
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le 4 nov. 2024

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