Destin terrible et méconnu que celui d’un des deux fils d’Albert Einstein, Edouard, schizophrène (donc considéré comme « fou ») et qui a passé les deux tiers de sa vie d’un hôpital psychiatrique de Zurich.
Destin terrible quand on sait que ce fils, vivait avec sa mère depuis qu’il était très jeune, que son père l’a vu très rarement et la dernière fois en 1933 alors que le savant part pour les USA en exil. Jusqu’à sa mort en 1955 le prix Nobel de physique ne reverra plus son fils. Et n’aura des nouvelles que par des tiers (son ex-femme, des tiers restés en Europe...).
A partir de ce fait réel Laurent Seksik nous livre un roman où il se met successivement dans la peau du père, de la mère, Mileva (avec qui le savant est séparé depuis 1914 puis divorcé) et qui élève seule Edouard et du fils.
Un pari difficile mais un pari tenu.
A travers ce drame familial plusieurs thèmes sont abordés :
La difficulté d’être un génie par rapport au monde qui l’entoure, la folie réelle ou supposée et comment la soigner, la filiation ou la difficulté d’être le « fils de », comment concilier ambitions au niveau planétaire et vie familiale avec ce que cela implique comme charge…
Car appelons un chat un chat : Einstein sacrifie son fils au bénéfice de ses activités professionnelles et militantes.
Il abandonne son fils enfermé à l’asile (il a certes parfois des permissions de sortie).
On suit ici la tragédie d’une famille et pas n’importe laquelle, celle d’Einstein, savant, prix Nobel, l’une des personnalités les plus connus du XXe siècle. Sur fond d’antisémitisme et de montée du nazisme aussi car la tête d’Einstein étant mise à prix par les nazis, celui-ci est obligé de s’exiler aux USA où ses prises de positions en faveur de la minorité noire lui valent un accueil assez froid.
Que peut-il ressentir, lui un génie, impuissant, face à la maladie mentale de son fils ?
Culpabilité ? Honte ? Incompréhension ? Indifférence ?
Et que peut ressentir son fils par rapport à l’attitude de son père ?
Tristesse ? Haine ? Dégoût ? Indifférence ?
Malgré le drame qui se joue le roman développe un certain style, avec un humour parfois jubilatoire qui s’en dégage (notamment les chapitres où il se met à la place du fils – dans sa tête pourrait-on même dire).
Même si c’est romancé évidemment c’est captivant, passionnant, on a happé par le récit.
C’est bien écrit et l’angle d’approche est remarquablement trouvé.
Seul petit bémol, récurrent dans ce type d’ouvrage de plus en plus en vogue : faire parler des personnages ayant vraiment vécu, et de plus très connus, de façon romancée sans savoir si cela correspond à la réalité ; avec des dialogues inventés donc (même si le cadre du roman lui est historiquement exact) et pareil pour le ressenti des personnages, leur vision des choses, leurs analyses ; l’exercice est intéressant, délicat mais réussi ici ; même si cela peut gêner je le comprends aisément.
On n'est pas obligé de suivre toutes les hypothèses de l'auteur.
« Le cas Edouard Einstein » a donc avant tout un intérêt romanesque mais pas forcément historique.
C’est toutefois l’occasion de découvrir Albert Einstein sous un autre angle, présenté ici à travers une autre facette de sa vie, secrète, sombre et presque honteuse.
Roman intéressant car il nous raconte une histoire qui aurait pu paraître invraisemblable et qui pourtant fût vraie : celle d’Edouard Einstein, fils d’un des plus grands génies de l’humanité et qui vécut, dans le secret, enfermé à l’écart du monde.
Et un destin extraordinaire avec encore une fois - et c’est cela aussi l’intérêt du livre - en toile de fond tout le contexte de l’époque : la montée du nazisme, le maccarthysme aux USA, l’évolution des sciences (physique, médecine…), la psychanalyse qui se développe, l’apparition du nucléaire et de l’arme atomique.
Je recommande également, du même auteur, son roman sur "les derniers jours de Stefan Zweig".
7.5/10
PS : pour les non mélomanes le titre fait référence à un morceau du groupe King Crimson "21st century schizoid man" (l'homme schizophrène du XXIe siècle).