En 2014, Jacques Julliard rendait un vibrant hommage, écrit à la première personne, à Simone Weil. Dès l’incipit, l’historien confesse n’avoir « aucune autorité » à parler de la philosophe, il souhaite partager une « rencontre bouleversante » – un véritable « choc ». Suit une centaine de pages dithyrambiques sur cet « être d’exception », qui « a porté si haut la condition humaine qu’elle semble par moments s’en évader ». Weil, un modèle ? « Non, mais pour chacun de nous un défi », estime Julliard, bien conscient de la supériorité de cette figure quasi christique.
Philosophe, syndicaliste, ouvrière, sur le front espagnol en 1936, résistante, Weil fut de tous les combats de son siècle, et néanmoins toujours distante, refusant le joug des idéologies. « Weil est d’abord à mes yeux une libératrice », confie-t-il. Car elle invite à penser librement, à préférer le pragmatisme à l’orthodoxie. Julliard célèbre sa clairvoyance à l’égard de l’empire de la force, qu’il s’agisse de l’URSS, du nazisme, du colonialisme… « En un siècle où la masse des clercs firent assaut de lâcheté devant diverses formes de totalitarisme, Weil fut avec Camus l’une des rares à ne pas trahir et à mériter le beau nom d’intellectuelle. »
Son sens aigu de l’engagement l’impressionne : en voilà une qui ne se paye pas de mots, si loin du « bavardage existentialiste de la part de gens qui ont raté toutes les occasions – que dis-je ? les obligations – de s’engager », tance-t-il. Julliard la suit même dans ses élans mystiques, partageant son rejet de l’Ancien Testament, qui lui valut un procès en antisémitisme. Balivernes, rétorque Julliard. « La doxa conformiste de notre temps tolère-t-elle encore un juif récusant la religion juive, un musulman récusant l’islam ? » questionne-t-il, avant de mettre en garde : « Cette extension de l’imputation de racisme deviendrait, si elle devait continuer à s’affirmer, un véritable obstacle à la liberté de penser, et même à la liberté tout court. » Des lignes parues, rappelons-le, six mois avant les attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo.