"Le Cinéma enragé au Japon s'éloigne des grandes avenues cinématographiques nippones pour s'intéresser à la création alternative, transgressive. Films extrêmes, brûlots révolutionnaires érotiques, œuvres désenchantées (cyber)punk ou productions violentes et gore aux forts relents sociaux, ils sont conçus par des réalisateurs indépendants, engagés, activistes ou libertaires, parfois même hors-la-loi", prévient la quatrième de couverture.
Sacré programme, et c'est là tout l'enjeu : racler le sang sur le sol et les murs, fouiller les poubelles de l'Histoire du cinéma nippon, saisir au vol des œuvres météores, fouiller les tripes d'une cinématographie dont la face cachée aurait tort de rester dans l'ombre, rendre accessible et intéressant pour tous un cinéma qui n'est pas fait pour tout le monde. Une profession de foi dont les nobles ambitions imprègnent chaque page de cet excellent bouquin.
Ne faisant l'économie d'aucune contextualisation historique (toute la partie concernant les tensions politiques qui ont secoué le pays et la jeunesse au cours des 60's, avec la formation de différents groupuscules armés d'extrême gauche, est particulièrement éclairante), Julien Sévéon brasse en près de 350 pages une histoire alternative du cinéma Japonais au fil d'une déclaration d'amour aussi érudite que sincère à des auteurs majeurs dont la plupart sont ignorés, ou peu considérés, par les encyclopédies généralistes.
Parmi eux, une place de choix est laissée à feu Koji Wakamatsu (Les Anges violés, United Red Army), cinéaste d'extrême gauche (dans la vie comme sur la toile) dont les films érotiques étaient toujours sous-tendus d'un discours politique inflexible. Parole est d'ailleurs laissée au Monsieur lors d'une interview aussi captivante que celles concernant Hisayasu Sato, Sogo Ishii ou encore Masao Adachi, le scénariste régulier de Wakamatsu.
Plus largement, y sont abordés des titres tels que Lolita Disgrace (Hisayasu Sato, 1988), double portrait d'un animateur radio et d'une lycéenne voyeuriste qui commente des meurtres en direct, Nightmare Detective (Shinya Tsukamoto, 2006), thriller où une jeune policière fraîchement mutée sur le terrain se retrouve chargée d'enquêter sur la mort étrange de deux victimes qui se seraient suicidées pendant leur sommeil, ou encore Anarchy in Japansuke (Takahisa Zeze, 1999) récit en flash-back dont le point de départ montre un quadragénaire abattre son propre fils au pied d'un arbre.
Trois exemples parmi tant d'autres d'un cinéma libre, sans tabous quant aux sujets qu'il peut aborder. En prime, l'auteur y accole un nombre impressionnant de photographies splendides (tant en couleurs qu'en noir & blanc) alternant extraits de films, affiches et photos des auteurs. Segmenté en quatre parties riches de chapitres plus passionnants les uns que les autres, Le Cinéma enragé au Japon repose sur une maquette agréable à parcourir qui fait constamment honneur à l'iconographie du livre. Le genre de travail qui donne le sentiment de faire un authentique voyage, abreuvant le lecteur d'informations tout en évitant les redondances.
A vrai dire, l'ouvrage est de ceux capables de passionner jusqu'aux plus profanes des lecteurs (ce qui était mon cas avant qu'il ne déclenche une curiosité irrépressible envers toutes ces péloches cintrées). En clair, 340 pages que leur clarté rend addictives. Soit les mêmes qualités qui imprègneront le Rêves, nostalgie et révolution du même Julien Sévéon, ouvrage tout aussi indispensable qui revient quant à lui sur la vie et l'œuvre du Japonais Mamoru Oshii.
Note : quitte à vous le procurer, prenez bien soin de choisir la version de 2010 qui fait deux fois la taille de la première édition, sortie elle en 2005.