Ca tient à si peu de choses, en fait. Un drap qui se soulève, le bruit de pieds nus qui claquent sur le sol, une mèche de cheveux égarée sur une serviette, un haut de pyjama qui traîne, un texto matinal qui embellit la journée à venir. Tes affaires, c'était un trésor perpétuel, ça me donnait envie de vivre. Avec toi, prendre un bain dans un évier m'aurait paru aussi banal que de visiter la maison d'inconnus, plantée en bord de mer. C'était parfait.

Trop, d'ailleurs. Chacun son fardeau et ses angoisses, balayés en quelques regards et par une complicité immédiate. Des jeux de mots sur ton nom, y en avait un paquet à faire, t'avais raison. De suite, tu as voulu lire ce que je griffonnais dans mon carnet. Faut dire que je m'ouvre pas beaucoup, c'est mon grand drame. Sensible et renfermé, sale combinaison. Je passe trop de temps à vérifier que j'ai l'air à l'aise dans mes fringues et trop peu à m'y sentir vraiment bien.

Pourtant, là, j'ai osé. On s'est revus une fois, puis deux, puis cent. Pourquoi moi, ce grand type penaud, fidèle des transports ferroviaires ? Peu importe, il fallait assurer. J'aurais pu tout perdre, argent, logement et amis, tout se serait arrangé si j'avais pu pleurer dans tes bras, le visage enfoui près de tes seins et ta main au creux de la mienne. C'est allé trop vite, je n'ai pas su tuer l'homme que j'étais pour te montrer celui que je suis devenu grâce à ta présence, ni comprendre pleinement tes angoisses. Tu m'as offert les émotions d'une vie entière, de celles où on vide son sac par cassettes audio interposées.

Virage à 180°. Tes sentiments ont disparu. Tu es peut-être prête à payer pour m'effacer de ton cerveau. Ca ne fait rire que ceux chargés de l'opération, ces médecins pourtant pas mieux lotis, qui répètent les mêmes gestes amoureux d'une génération à l'autre. Moi, je me sens privé de toute envie, sauf celle de te voir revenir. J'erre, les larmes aux yeux, rêvant d'aller au bout du monde. Comme si la douleur était une notion géographique, dirait Brel. Quand on est ensemble, on pense à l'être aimé, puis à soi, puis à nous deux. Et on se demande ce qui cloche entre tout. Car un truc cloche, forcément. Ces choses dont on a jamais vraiment parlé, elles sont sûrement nocives.

Plusieurs fois j'ai dit que j'étais pas très famille. Fragilisé par ma solitude, par mes histoires passées et par ce quai de gare que je connais trop bien, je n'ai pas perçu que tu éveillais ce qu'il y a de meilleur en moi. Tu pouvais changer la couleur de tes cheveux, les couper ou les laisser pousser, j'étais aux premières loges, c'est ce qui comptait le plus. A tes côtés, je voyais enfin un avenir à deux. C'était si évident que je ne l'ai pas exprimé, ou alors par boutades. J'ai laissé de vieilles certitudes déjà évincées de mon coeur germer dans le tien. Tu as cru voir qui j'étais vraiment. C'était vrai, et faux : je ne suis plus cette personne mais tu ne me crois pas, c'est trop tard.

Je pensais savoir ce qu'était une rupture, j'avais tort. Mes maladresses stupides, je les vois, comme toujours, et je les hais plus que jamais. Seulement, pour la première fois, ce n'est pas uniquement le passé mais aussi l'avenir que je regrette, celui que j'aurais voulu t'offrir. Inutile de courir à perdre haleine dans nos souvenirs ou de te cacher sous une humiliation de jeunesse : t'avoir donné envie de partir, c'est ça ma plus grande humiliation. Bien sûr que oui, tu ferais une merveilleuse mère. Une famille ensemble, je pouvais pas rêver mieux. La tendresse infinie que j'ai pour toi, il faut désormais que je la réprime, que je la sente peser au fond de mes tripes le temps de la laisser mourir.

Mon appartement m'est devenu aussi agréable qu'un tombeau. Ce lit froid, vide, et ces instants qui me rendent malade de ne plus te sentir près de moi, voilà tout ce qui me reste. Ton corps, ta voix, ton visage, tes mots, tout ce que je n'ai plus est devenu une agonie. Chaque jour qui passe nous éloigne maintenant, avalé comme une plage isolée peut l'être par une neige irréelle. "Avant toi", ça n'existe plus. Ce célibat morose, tristement confortable, est détruit. Je ne peux plus retourner à cet état. Depuis que tu es partie, je t'ai pleurée comme si tu étais morte. Et tu vas terriblement me manquer.

Fritz_the_Cat
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