L'hypothèse sur laquelle repose ce livre est aussi farfelue qu'intéressante : la crise que vit actuellement l'Union Européenne aurait d'importantes similarités avec celle que vécut la République Romaine, et une étude comparative serait dès lors enrichissante !
Divisé en douze points clefs, ce bouquin a l'ambition de prouver que l'analogie se révèle pertinente dans de multiples domaines, et chaque chapitre sera divisé en deux parties : la première évoquant un problème de l'Union Européenne, la seconde la même situation, mais dans la Rome Antique. Le tout étayé par une bibliographie variée, fournie et pertinente, ainsi que par des cartes et graphiques officiels, émanant de l'Union Européenne. Et avec un style académique, mais pourtant jamais trop pompeux, tout en restant (relativement) prudent dans ses hypothèses. Bref, sur la forme, c'est un essai universitaire de qualité, qui permettra au moins d'ouvrir de nombreuses pistes de réflexions, ne serait-ce que grâce à la fourmillante liste d'ouvrages suggérés.
Tolérance, respect de la vie humaine, égalité, épanouissement personnel, religion, respect des autres cultures, libertés individuelles, démocratie, État de droit, droits de l'homme, paix et solidarité sont donc les clefs de comparaison choisies par l'auteur, et ont en commun d'être des "valeurs défendues par l'Union Européenne". Du coup, parler de droits de l'homme durant l'Antiquité, ça a quelque chose d'assez paradoxal, et l'auteur ne s'en sort parfois qu'approximativement pour défendre sa comparaison. D'un autre côté, il trouve des parallèles pertinents, tels que la déstructuration de la famille (de plus en plus de divorces, moins de mariages), le désintérêt progressif des masses pour les élections (et la faillite probable du système démocratique ?) ou l'impression d'éloignement croissant entre le citoyen et l'entité supranationale qui le gouverne.
Mais un thème fort semble revenir sans cesse : celui de la crise identitaire. Abordé de long en large, depuis les origines de ce qui pourrait être "la culture européenne" jusqu'aux idées nouvelles pour renforcer l'identité européenne, celle-ci semble en fait être la pierre angulaire de l'ouvrage, qui en établissant tant de parallèles (plus ou moins) pertinents entre les valeurs et idées de la République Romaine et celles de l'Union Européenne, tente également d'ancrer les bases de notre culture, de notre identité, à cette lointaine époque. Idée louable, tant il me semble que l'Europe tout entière est imprégnée de ce mélange judéo-chrétien-latino-grec (la Renaissance s'appuie essentiellement là-dessus), mais l'une des corollaires de cette théorie, selon David Engels (et la multitude d'auteurs qu'il cite), est qu'une identité, une culture, se définit avant tout par l'opposition, par la négation. Nous sommes, et nous nous sentons Européens, parce qu'il existe des Africains, des Asiatiques, des Américains. Le problème de cette théorie, c'est que l'auteur l'exploite pour constamment stigmatiser l'Islam, et le monde musulman en général, érigé en ennemi millénaire du continent européen. L'étranger semble en fait être le principal problème, puisqu'il freine la constitution d'une identité culturelle commune, basée sur plus de deux milles ans d'histoire, des religions et un mode de pensée. Bref, ça tend parfois vers le nauséabond.
Outre tout cela, de nombreuses réflexions sur l'avenir de l'Europe, sur la nécessité d'une armée commune (= élément fédérateur d'un Empire) qui est plutôt dans l'actualité, sur le rejet de la religion dans la société et sur tant d'autres sujets, ont le mérite de faire réfléchir, mais ne restent qu'esquissés...
Pessimiste jusqu'à son titre, cet ouvrage a au moins le mérite d'explorer une multitude de pistes intéressantes pour qui cherche à comprendre l'Europe d'aujourd'hui, mais aussi à mieux connaitre la République Romaine. Sa diversité est également son point faible, puisque chaque sujet est traité en moins de vingt pages. Trop succinct que pour être complet et enrichir pleinement, Le Déclin est l'un de ces livres qui fait naitre la curiosité au lieu de la satisfaire. Son côté académique ouvre toutefois la voie à d'autres ouvrages, sans doute plus spécialisés, et pertinents dans leur domaine respectif.