Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Ahmed Boubeker proposent avec Le grand repli une analyse de l’avancée réactionnaire à l’œuvre dans la société française depuis une vingtaine d’années. En insistant sur les facteurs sociologiques et les impensés coloniaux qui irriguent la mémoire collective, ils offrent ici des outils de compréhension et de réponse face à la progression des discours intolérants. Dès la préface, Achille Mbembe, avec la verve qu’on lui connaît, met en exergue l’ancrage durable d’un « nanoracisme », d’abord au sein des élites françaises et par capillarité médiatique dans l’ensemble des couches sociales. Pour le philosophe camerounais, « le grand défoulement » prospère dans le vide politique et intellectuel ambiant, carburant de la société du spectacle. Le livre brosse d’abord un tableau d’une réappropriation inégalitaire et identitaire de la laïcité, du procès de l’islam et du musulman désignés comme ennemis intérieurs et de l’abandon d’un idéal de pleine citoyenneté pour tous les Français. On appréciera aussi l’analyse d’une parole publique autoproclamée « républicaine » et de la rhétorique du conflit identitaire, portée par le Front national mais reprise bien au-delà. La déconstruction des prises de parole intellectuelles (Eric Zemmour, Alain Finkielkraut, Michel Onfray...) est bienvenue à l’heure où les voix de la tolérance peinent à se faire entendre. La postface de Benjamin Stora conclut cet ouvrage de combat en revenant sur l’histoire des discours belliqueux et conservateurs. Et en défendant l’idée de la reconnaissance des histoires multiples de la France. L’historien fait écho à la phrase d’ouverture d’A. Mbembe : « La France réelle ou officielle ne sera plus jamais comme avant, c’est-à-dire monochrome. Elle sera marquée au pluriel et il n’y a strictement rien que l’on puisse faire pour inverser cette tendance ». Il est heureux de trouver ici des arguments à opposer à cette pensée recroquevillée sur elle-même qui nous étouffe.